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Considérations principales du jugement de la seconde chambre du 5 mai 2020

- 2 BvR   859/15 -

- 2 BvR 1651/15 -

- 2 BvR 2006/15 -

- 2 BvR   980/16 -


  1. Lorsqu’à l’occasion d’un contrôle ultra vires ou d’un contrôle du respect de l’identité constitutionnelle de l’Allemagne se pose la question de la validité ou de l’interprétation d’une mesure des institutions, des organes ou des organismes de l’Union européenne, la Cour constitutionnelle fédérale examine ladite mesure en principe sur le fondement de l’interprétation et de l’appréciation qu’en a donné la Cour de justice de l’Union européenne. (point 118)
  2. Le mandat, découlant de la fonction attribuée par l’article 19, paragraphe 1, 2ndephrase, du Traité sur l’Union européenne (TUE), de la Cour de justice de l’Union européenne de dire le droit trouve ses limites lorsque l’interprétation des traités opérée par la Cour de justice n’est plus compréhensible et, dès lors, est objectivement arbitraire. Si la Cour de justice outrepasse cette limite, son action n’est alors plus couverte par le mandat attribué par l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE, combiné aux dispositions de la loi d’approbation du traité, ce qui signifie que – du moins en ce qui concerne l’Allemagne – il manque à la décision de la Cour de justice le niveau minimum de légitimité démocratique exigé par l’article 23, alinéa 1, 2nde phrase, de la Loi fondamentale (LF), combiné aux articles 20, alinéas 1 et 2, et 79, alinéa 3, LF. (point 112)
  3. Lorsque sont affectés des intérêts fondamentaux des États membres – ce qui est généralement le cas lorsqu’il s’agit d’interpréter les compétences attribuées à l’Union européenne et le programme d’intégration démocratiquement légitime de cette dernière – les intentions alléguées par la Banque centrale européenne ne sauraient être reprises telles quelles dans le cadre du contrôle juridictionnel. (point 142)
  4. L’effet combiné d’une part d’un large pouvoir d’appréciation de l’institution dont un acte est contrôlé, et d’autre part d’une limitation de l’étendue du contrôle juridictionnel opéré par la Cour de justice de l’Union européenne, ne tient manifestement pas suffisamment compte de la portée du principe d’attribution et ouvre la voie à une érosion continuelle des compétences des États membres. (point 156)
  5. La préservation des fondements sur lesquels repose la répartition des compétences au sein de l’Union européenne est d’une importance primordiale pour la garantie du principe de démocratie. La finalité du programme d’intégration ne saurait conduire à ce que le principe d’attribution – l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’Union européenne – se trouve abrogé de fait. (point 158)
  6. a) Le respect du principe de proportionnalité lors de la délimitation des compétences entre l’Union européenne et les États membres, ainsi que l’appréciation d’ensemble qu’il exige, revêtent une importance particulière pour le principe de démocratie et le principe de la souveraineté populaire. Une violation de ce principe est susceptible de bouleverser les fondements sur lesquels repose la répartition des compétences au sein de l’Union européenne et de contourner le principe d’attribution. (point 158)

    b) Pour qu’un programme d’achats d’obligations souveraines puisse être considéré proportionné, il est impératif – outre l’exigence qu’un tel programme soit adapté et nécessaire pour atteindre l’objectif qu’il vise – que l’objectif de politique monétaire poursuivi d’une part, et les effets économiques engendrés d’autre part, soient identifiés, pondérés et mis en balance. La poursuite inconditionnelle de l’objectif en matière de politique monétaire tout en ignorant les conséquences économiques du programme lancé méconnaît manifestement le principe de proportionnalité consacré par l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE. (point 165)

    c) Le fait qu’il soit interdit au Système européen de banques centrales d’agir en matière de politique économique et sociale n’exclut pas de prendre en compte, sous l’angle du principe de proportionnalité consacré par l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE, les effets entraînés par un programme d’achats d’obligations souveraines – par exemple en ce qui concerne la dette publique, l’épargne, les retraites, les prix de l’immobilier, le maintien en vie d’entreprises qui ne sont économiquement plus viables – et, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble, de les mettre en balance avec l’objectif de politique monétaire poursuivi et susceptible d’être réalisé. (point 139)
  7. La question de savoir si un programme à l’instar du PSPP constitue un contournement manifeste de l’article 123, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ne peut toutefois être tranchée sur la base d’un critère isolé, mais uniquement sur le fondement d’une appréciation d’ensemble. En particulier la limite d’achat fixée à 33 % et le fait que les achats sont effectués en fonction de la quote-part respective des banques centrales nationales dans la clé de répartition du capital de la Banque centrale européenne (BCE) empêchent que des mesures sélectives favorisant certains États membres soient prises dans le cadre du PSPP et que l’Eurosystème devienne le créancier principal d’un État membre. (point 217)
  8. Une modification (ultérieure) de la répartition des risques relatifs aux obligations souveraines achetées dans le cadre du PSPP porterait atteinte au domaine protégé de la responsabilité d’ensemble du Bundestag allemand en matière de politique budgétaire et serait contraire à l’article 79, alinéa 3, LF. Sur le fond, une telle modification constituerait une prise en charge – interdite par la Loi fondamentale – de la responsabilité pour des décisions prises par un tiers et engendrant des conséquences difficiles à évaluer. (point 227)
  9. Le gouvernement fédéral et le Bundestag sont tenus en vertu de leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne d’agir pour que la Banque centrale européenne procède à un examen du PSPP à l’aune du principe de proportionnalité. Ils doivent manifester clairement leur position juridique à l’encontre de la Banque centrale européenne ou veiller d’une autre manière à ce que soit rétabli un état des faits conforme aux traités. (point 232)
  10. Il est interdit aux organes constitutionnels, aux autorités administratives et aux tribunaux d’apporter leur concours à l’établissement, à la mise en œuvre, à l’exécution ou à l’opérationnalisation d’actes ultra vires. Cette interdiction vaut en principe également pour la Bundesbank. (point 234)

COUR CONSTITUTIONNELLE FÉDÉRALE

Prononcé le 5 mai 2020 Fischböck secrétaire greffier auprès de la Cour

- 2 BvR 859/15 -
- 2 BvR 1651/15 -
- 2 BvR 2006/15 -
- 2 BvR 980/16 -

AU NOM DU PEUPLE

Dans les procédures
relatives
aux recours constitutionnels introduits par



I.    1.   M. Dr. W…, 
            

2.   M. Dr. H…,


3.   M. Dr. A…, 


- Mandataire : … -
 


contre
1.   l’omission du gouvernement fédéral et du Bundestag d’agir pour que soient abrogées ou du moins ne soient pas mises en œuvre la décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 22 janvier 2015 concernant un programme d’achats d’actifs (BCE/2015/10) et la décision de la Banque centrale européenne du 4 mars 2015 (décision [UE] 2015/774) concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (Public Sector Asset Purchase Programme), modifiée par les décisions de la Banque centrale européenne du 5 novembre 2015 (décision [UE] 2015/2101), du 16 décembre 2015 (décision [UE] 2015/2464), du 18 avril 2016 (décision [UE] 2016/702) et du 11 janvier 2017 (décision [UE] 2017/100), ainsi que par la décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 13 décembre 2018,


2.   l’omission de la Bundesbank allemande de s’opposer, au moyen d’un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne, à son implication dans ce programme d’achats,


3.   l’application sous l’empire de la Loi fondamentale de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 11 décembre 2018 – affaire C-493/17, Weiss e.a.
 

- 2 BvR 859/15 -,




II.   1.   M. Prof. Dr. L…, 

2.      M. Prof. Dr. h.c. H…, 

3.      M. Prof. Dr. S…, 

4.      M. K…, 

5.      Mme T…, 


ainsi que par 1 729 autres requérants, 


- Mandataire :
1. …

2. … -
 

contre
1.   l’application et la mise en œuvre en droit interne de la décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 22 janvier 2015 et de la décision (UE) 2015/774 de la Banque centrale européenne du 4 mars 2015 (BCE/2015/10) concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (Public Sector Asset Purchase Programme), ainsi que de


-        la décision (UE) 2015/2101 de la Banque centrale européenne du 3 septembre / 5 novembre 2015 modifiant la décision (UE) 2015/774 (BCE/2015/10) concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires, 

-        la décision (UE) 2015/2464 de la Banque centrale européenne du 3 décembre / 16 décembre 2015 (BCE/2015/48) modifiant la décision (UE) 2015/774 (BCE/2015/10) concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires, 

-        la décision (UE) 2016/702 de la Banque centrale européenne du 10 mars / 18 avril 2016 (BCE/2016/8) modifiant la décision (UE) 2015/774 (BCE/2015/10) concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires, 

-        la décision (UE) 2017/100 de la Banque centrale européenne du 8 décembre 2016 / 11 janvier 2017 (BCE/2017/1) modifiant la décision (UE) 2015/774 (BCE/2015/10) concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires,


2.   l’omission du gouvernement fédéral et du Bundestag allemand d’agir, en conformité avec leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne, pour que les décisions mentionnées au point no 1 relatives à des achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires soient abrogées et que des mesures adaptées soient prises pour que les effets qui résultent en droit interne de l’exécution continue de ces décisions demeurent limités le plus possible, 


      subsidiairement :


      l’omission du gouvernement fédéral et du Bundestag allemand de traiter, en conformité avec leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne, de la question de déterminer de quelle manière, compte tenu des décisions mentionnées au point no 1 relatives à des achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires, la répartition des compétences dans l’Union européenne puisse être rétablie tout en préservant l’identité constitutionnelle de l’Allemagne
 

- 2 BvR 1651/15 -,




III.  M. G…, 


- Mandataire : … -
 


contre
l’omission du gouvernement fédéral de prendre des mesures adaptées pour s’opposer à ce que,


la Banque centrale européenne, avec son programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (Public Sector Asset Purchase Programme – PSPP),


concrètement avec la décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 22 janvier 2015 relative au programme étendu d’achats d’actifs (Expanded Asset Purchase Programme – EAPP, désormais dénommé programme d’achats d’actifs, Asset Purchase Programme – APP), avec la décision portant sur le PSPP (UE) 2015/774 de la Banque centrale européenne du 4 mars 2015 (BCE/2015/10) concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires dans sa rédaction résultant de la décision (UE) 2015/2101 de la Banque centrale européenne du 5 novembre 2015 modifiant la décision (UE) 2015/774 (BCE/2015/33), de la décision (UE) 2015/2464 de la Banque centrale européenne du 16 décembre 2015 modifiant la décision (UE) 2015/774 (BCE/2015/48), de la décision (UE) 2016/702 de la Banque centrale européenne du 18 avril 2016 modifiant la décision (UE) 2015/774 (BCE/2016/8), de la décision (UE) 2016/1041 de la Banque centrale européenne du 22 juin 2016 concernant l’éligibilité des titres de créance négociables émis ou totalement garantis par la République hellénique et abrogeant la décision (UE) 2015/300 (BCE/2016/18), ainsi que de la décision de la Banque centrale européenne du 11 janvier 2017 modifiant la décision (UE) 2015/774 (BCE/2017/1),


et avec les achats d’actifs effectués sur le fondement du PSPP


a) outrepasse sa compétence en matière de politique monétaire et empiète sur la compétence des États membres en matière de politique économique,


b) viole l’interdiction du financement monétaire des États par les banques centrales et


c) porte atteinte à l’identité constitutionnelle de la République fédérale d’Allemagne
 

- 2 BvR 2006/15 -,





IV.  1.   M. Prof. Dr. von S…,


2.   M. Prof. Dr. H…,


3.   M. M…,


4.   M. von E…,


5.   M. Dr. G…,


6.   Mme M…,


7.   M. Dr. H…,


8.   M. Dr. S…,


9.   M. Prof. Dr. K…,



- Mandataire : ... -

Pour les requérants sous les nos 1 à 8
 

contre
1.   le programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (PSPP) annoncé par la Banque centrale européenne le 22 janvier 2015 et adopté par la décision (UE) 2015/774 de la Banque centrale européenne du 4 mars 2015, entrée en vigueur le 15 mai 2015, concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2015/10), les extensions de ce programme décidées respectivement le 3 décembre 2015 et le 10 mars 2016 et concrétisées le 21 avril 2016, puis contre la reprise de ce programme décidée le 12 septembre 2019 et prévoyant à compter du 1er novembre 2019 l’achat net d’actifs à hauteur de 20 milliards d’euros jusqu’à la modification des taux d’intérêt directeurs,


2.   la participation de la Bundesbank allemande à l’exécution du programme de la Banque centrale européenne d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires, en particulier aux extensions du PSPP adoptées par les décisions de la Banque centrale européenne du 3 décembre 2015, du 10 mars 2016, du 21 avril 2016 et du 11 janvier 2017, ainsi que dans le cadre de la reprise de l’achat net d’actifs à un rythme mensuel de 20 milliards d’euros à compter du 1er novembre 2019,


3.  l’inaction de la Bundesbank, du gouvernement fédéral et du Bundestag allemand en ce qui concerne le programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (PSPP) de la Banque centrale européenne, et notamment les extensions de ce programme par les décisions de la Banque centrale européenne du 3 décembre 2015, du 10 mars 2016 et du 21 avril 2016, ainsi qu’en ce qui concerne la reprise du PSPP à partir du 1er novembre 2019 et les autres décisions de la Banque centrale européenne du 12 septembre 2019 en matière de taux d’intérêt, et en particulier contre l’omission du représentant de la Bundesbank au sein du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne le 12 septembre 2019 de demander à ce que soit procédé à un vote en vue de parvenir à une décision relative au projet de décision présenté le 12 septembre 2019 au conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, ainsi qu’en dernier lieu contre l’absence, à ce jour, d’une déclaration de la Bundesbank de ne pas prendre part à une reprise du programme d’achats d’actifs
 

- 2 BvR 980/16 -



la Cour constitutionnelle fédérale - seconde chambre -
où siégeaient les juges
Voßkuhle (Président),
 
Huber,
 
Hermanns,
 
Müller,
 
Kessal-Wulf,
 
König,
 
Maidowski,
 
Langenfeld

et suite à l’audience publique tenue le 31 juillet 2019
a décidé par 


JUGEMENT

1. Les recours dans les affaires 2 BvR 859/15, 2 BvR 1651/15, 2 BvR 2006/15 et 2 BvR 980/16 sont joints pour une décision commune.

2. Les griefs nos 2 et 3 avancés dans les recours constitutionnels des requérants sous I., le grief no 1 avancé dans le recours constitutionnel du requérant sous II., ainsi que les recours constitutionnels des requérants sous IV. sont écartés.

3. Le gouvernement fédéral et – en ce qui concerne les requérants sous I. et II. – le Bundestag allemand ont violé les droits que les requérants sous I., II. et III. tiennent en vertu de l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF, combiné à l’article 20, alinéas 1 et 2, LF, et à l’article 79, alinéa 3, LF, dans la mesure où ils ont omis de prendre des mesures adaptées contre l’omission de Banque centrale européenne, qui

a) dans la décision (UE) 2015/774 de la Banque centrale européenne du 4 mars 2015 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (Public Sector Asset Purchase Programme, BCE/2015/10, JO L 121 du 14 mai 2015, p. 20),

b) modifiée par la décision (UE) 2015/2101 de la Banque centrale européenne du 5 novembre 2015 modifiant la décision (UE) 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2015/33, JO L 303 du 20 novembre 2015, p. 106), la décision (UE) 2015/2464 de la Banque centrale européenne du 16 décembre 2015 modifiant la décision (UE) 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2015/48, JO L 344 du 30 décembre 2015, p. 1), la décision (UE) 2016/702 de la Banque centrale européenne du 18 avril 2016 modifiant la décision (UE) 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2016/8, JO L 121 du 11 mai 2016, p. 24), ainsi que par la décision (UE) 2017/100 de la Banque centrale européenne du 11 janvier 2017 modifiant la décision (UE) 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2017/1, JO L 16 du 20 janvier 2017, p. 51),

n’a ni vérifié ni démontré la conformité des mesures adoptées au principe de proportionnalité.

4. Pour le reste, les recours constitutionnels sont rejetés.

5. […]

Contenu

  1. 1

    A.  Faits de l’espèce
    1. 2

      I. Objets des recours
      1. 3

        1. Aménagement du programme
      2. 8

        2. Fondements juridiques du programme
    2. 19

      II. Arguments des requérants
      1. 19

        1. Requérants sous I
        1. 20

          a) Requêtes
        2. 22

          b) Recevabilité
        3. 23

          c) Bien-fondé
          1. 25

            aa) Griefs fondés sur le droit de l’Union
          2. 31

            bb) Griefs fondés sur le droit constitutionnel
      2. 33

        2. Requérants sous II
      3. 34

        a) Violation de l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF et de l’identité constitutionnelle de l’Allemagne
      4. 38

        b) Violation du principe de proportionnalité et de l’article 123, paragraphe 1, TFUE
      5. 41

        c) Violation du principe de démocratie
      6. 42

        3. Requérants sous III
        1. 43

          a) Griefs fondés sur le droit de l’Union
        2. 51

          b) Griefs fondés sur le droit constitutionnel
        3. 52

          c) Contestation de l’impartialité du président de la BCE
      7. 53

        4. Requérants sous IV
        1. 54

          a) Recevabilité
        2. 55

          b) Bien-fondé
        3. 58

          c) Souveraineté budgétaire du Bundestag allemand
        4. 61

          d) Contestation de l’impartialité du président de la BCE
    3. 62

      III. Avis des personnes ayant le droit de s’exprimer dans le cadre de la procédure
    4. 62

      1. Personnes ayant le droit de s’exprimer dans le cadre de la procédure
    5. 63

      2. Gouvernement fédéral
      1. 64

        a) Recevabilité des recours
      2. 65

        b) Bien-fondé des recours
    6. 69

      3. Bundesbank allemande
    7. 75

      4. Banque centrale européenne
    8. 80

      IV. Déroulement de la procédure
    9. 80

      1. Décision de la chambre posant des questions préjudicielles
    10. 81

      2. Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 11 décembre
      2018
    11. 82

      3. Audience publique
    12. 84

      4. Demandes d’ordonnance provisoire
  2. 85

    B. Recevabilité des recours
    1. 86

      I. Objets des recours
    2. 87

      1. Modification des requêtes
    3. 89

      2. Actes susceptibles de faire l’objet d’un recours constitutionnel
    4. 90

      3. Qualité pour agir
    5. 91

      4. Persistance de l’intérêt légitime pour agir
    6. 92

      II. Irrecevabilité des recours constitutionnels pour le reste
      1. 93

        1. Actes insusceptibles de faire l’objet d’un recours constitutionnel
      2. 96

        2. Manque d’une motivation suffisante de l’argumentation
  3. 97

    C. Bien-fondé des recours
    1. 98

      I. Normes de référence
    2. 99

      1. Contenu démocratique fondamental du droit consacré par l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF
    3. 101

      2. Application de ce droit à l’intégration européenne
      1. 102

        a) Interdiction d’une attribution de compétences de son propre chef par l’Union européenne
      2. 103

        b) Préservation du pouvoir d’action politique du Bundestag
    4. 105

      3. Responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne
      1. 106

        a) Fondements et contenu
      2. 110

        b) Contrôle d’actes ultra vires
    5. 114

    6. 4. Contrôle du respect de l’identité constitutionnelle de l’Allemagne
    7. 116

      II. Application des normes de référence au cas concret
      1. 117

        1. Violation des articles 119, paragraphe 2, et 127, paragraphe 1, TFUE par le PSPP
        1. 118

          a) Arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018 rendu partiellement ultra vires
          1. 120

            aa) Position de la Cour de justice regardant la conformité du PSPP à la répartition des compétences entre l’Union et les États membres
          2. 123

            bb) Caractère méthodologiquement insoutenable de l’arrêt
            1. 124

              (1) Principe de proportionnalité
            2. 127

              (2) Application par la Cour de justice
            3. 133

              (3) Principe d’attribution vidé de son sens et insuffisances méthodologiques
              1. 134

                (a) Principe d’attribution
              2. 138

                (b) Absence de prise en compte des effets économiques du programme
              3. 146

                (c) Contradiction avec l’approche méthodologique adoptée dans la quasi-totalité des autres branches du droit     
          1. 154

            cc) Caractère partiellement non contraignant de l’arrêt
            1. 155

              (1) Excès manifeste du mandat attribué par le droit primaire
            2. 157

              (2) Excès de compétence structurellement significatif
            3. 162

              (3) À cet égard, caractère non contraignant de l’arrêt
        2. 164

          b) Examen par la chambre des décisions du conseil des gouverneurs de la BCE et de la BCE relatives au PSPP
          1. 166

            aa) Objectif poursuivi en matière de politique monétaire
          2. 167

            bb) Violation manifeste du principe de proportionnalité
            1. 168

              (1) Absence de mise en balance
              1. 170

                (a) Effets sur les finances des États membres
              2. 172

                (b) Effets sur le secteur bancaire
              3. 173

                (c) Effets sur les ménages
              4. 174

                (d) Effets sur les entreprises
              5. 175

                (e) Effets sur l’action du SEBC
            2. 176

              (2) Caractère disproportionné des décisions
          3. 178

            cc) Violation structurellement significative
      2. 179

        2. Autres considérations relatives à la proportionnalité      
      3. 180

        3. Non-violation de l’article 123, paragraphe 1, TFUE par le PSPP 
        1. 181

          a) Raisonnement de la Cour de justice
        2. 184

          b) Objections de la chambre contre ce raisonnement
          1. 185

            aa) Annonces relatives aux achats dans le cadre du PSPP
          2. 187

            bb) Respect d’une période de fenêtre négative
          3. 192

            cc) Détention des obligations jusqu’à leur échéance
        3. 197

          c) Absence d’un contournement manifeste de l’article 123, paragraphe 1, TFUE
          1. 198

            aa) Annonces dans le cadre de PSPP
          2. 201

            bb) Limites d’achat
          3. 203

            cc) Répartition des achats
          4. 205

            dd) Autres éléments destinés à empêcher un contournement
          5. 206

            ee) Respect d’une période de fenêtre négative
          6. 207

            ff) Evaluation de la qualité du crédit
          7. 209

            gg) Détention des obligations jusqu’à leur échéance
          8. 212

            hh) Détermination d’une stratégie de sortie
        4. 213

          d) Appréciation d’ensemble

          219

          aa) Rendement à échéance négatif

          221

          bb) Clauses pari passu

        5. 218

          e) Rendement à échéance négatif et clauses d’action collective
      4. 222

        4. Absence d’une redistribution des dettes publiques par la répartition des risques prévue
        1. 223

          a) Exclusion de la possibilité de redistribuer les dettes
        2. 227

          b) Responsabilité d’ensemble en matière de politique budgétaire
      5. 229

        5. Conséquences pour le gouvernement fédéral et le Bundestag en tant qu’organes constitutionnels 
        1. 230

          a) Obligations découlant de la responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne
        2. 232

          b) Obligations en ce qui concerne le PSPP
      6. 234

        6. Absence de primauté d’application du PSPP
  4. 236

    D. Décision quant aux frais de la procédure
  5. 237

    E. Résultat du vote des juges

M o t i f s :

A.

1

Les recours constitutionnels des requérants sont dirigés pour l’essentiel contre le programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (Public Sector Asset Purchase Programme – PSPP), les requérants sous IV. contestent en outre le programme d’achat de titres du secteur des entreprises (Corporate Sector Purchase Programme – CSPP). Les deux programmes constituent des sous-programmes du programme étendu d’achats d’actifs (Expanded Asset Purchase Programme – EAPP) du Système européen de banques centrales (SEBC). Les requérants avancent que les décisions de la Banque centrale européenne (BCE) instaurant ces programmes constituent des actes pris ultra vires. Selon les requérants, ces programmes violent l’interdiction du financement monétaire des États (art. 123, para. 1, TFUE) et le principe d’attribution (art. 5, para. 1, TUE, combiné à l’art. 119 et à l’art. 127 sqq. TFUE). Dans la mesure où ces programmes apportent une ingérence dans le pouvoir budgétaire du Bundestag allemand, les requérants estiment que l’identité constitutionnelle de l’Allemagne se trouve également violée.

I.

2

L’EAPP est un programme-cadre composé de quatre sous-programmes, à savoir le troisième programme d’achat d’obligations sécurisées (Third Covered Bond Purchase Programme – CBPP3), le programme d’achats de titres adossés à des actifs (Asset-Backed Securities Purchase Programme – ABSPP), le PSPP et le CSPP. Dans sa décision – non-publiée – du 22 janvier 2015, le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (conseil des gouverneurs de la BCE) jumela les deux premiers programmes cités qui avaient été lancés respectivement en octobre et en novembre 2014, annonça le PSPP et définit certaines caractéristiques techniques du programme. En mars 2016, il décida en outre de lancer le CSPP. Depuis le 10 mars 2016, le programme d’ensemble porte le titre d’EAPP. Depuis, il a été modifié à plusieurs reprises.

3

1. Selon ses motifs, le PSPP a pour objectif une expansion de la masse monétaire et donc un assouplissement des conditions monétaires (cf. le communiqué de presse de la BCE du 22 janvier 2015), et il doit conduire à une augmentation du taux d’inflation au sein de la zone euro (cf. Bundesbank allemande, rapport mensuel juin 2016, p. 30 sqq. […]). Il est destiné à améliorer l’accès au financement des entreprises et des ménages. Dès lors, les investissements et la consommation se trouveraient stimulés, ce qui favoriserait un retour à des taux d’inflation « plus proches de 2 % » (cf. considérant 2 de la décision <UE> 2015/774 de la Banque centrale européenne du 4 mars 2015 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires <BCE/2015/10>, JO L 121 du 14 mai 2015, p. 20 ; cf. également Bundesbank allemande, rapport mensuel juin 2016, p. 39).

4

Le volume du EAPP était initialement limité à des achats à un rythme mensuel à hauteur de 60 milliards d’euros. Les achats devaient perdurer jusqu’à la fin du mois de septembre 2016 et en tout état de cause jusqu’à ce que le conseil des gouverneurs perçoive un ajustement durable de la trajectoire suivie par l’inflation qui soit compatible avec l’objectif d’obtenir à moyen terme des taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 % (cf. considérant 7 de la décision <UE> 2015/774 précitée). Le conseil des gouverneurs de la BCE s’est réservé la possibilité « d’accroître le volume et/ou d’allonger la durée du programme » (cf. BCE, communiqué de presse du 8 décembre 2016).

5

Entre mars 2015 et mars 2016, la BCE procéda à des achats mensuels d’actifs d’un montant total d’environ 60 milliards d’euros. En avril 2016, le volume des achats mensuels fut porté à 80 milliards d’euros et il fut décidé de continuer à procéder à de tels achats jusqu’au moins en mars 2017 (cf. considérant 3 de la décision <UE> 2016/702 du 18 avril 2016 modifiant la décision <UE> 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires <BCE/2016/8>, JO L 121 du 11 mai 2016, p. 24). Le 8 décembre 2016, le conseil des gouverneurs de la BCE décida la poursuite du EAPP jusqu’à au moins fin 2017. Entre avril 2017 et décembre 2017, le volume des achats mensuels était de 60 milliards d’euros (cf. Bundesbank allemande, rapport mensuel août 2017, p. 23 ; rapport mensuel novembre 2017, p. 22), et de 30 milliards d’euros entre janvier 2018 et septembre 2018 (cf. Bundesbank allemande, rapport mensuel mai 2018, p. 20). L’abaissement du volume des achats fut motivé par un retour de la confiance en un rapprochement progressif des taux d’inflation de l’objectif de taux inférieurs, mais proches de, 2 % (cf. BCE, communiqué de presse du 26 octobre 2017 ; Bundesbank allemande, rapport mensuel novembre 2017, p. 22). Avec sa décision du 13 septembre 2018, le conseil des gouverneurs de la BCE réduisit une nouvelle fois le volume des achats, à savoir à 15 milliards d’euros par mois pour la période entre octobre 2018 et décembre 2018 (cf. BCE, communiqué de presse du 13 septembre 2018 ; Bundesbank allemande, rapport mensuel novembre 2018, p. 23). Puis, par sa décision du 13 décembre 2018, il décida de cesser les achats nets d’actifs à compter du 31 décembre 2018 (cf. BCE, communiqué de presse du 13 décembre 2018 ; Bundesbank allemande, rapport mensuel février 2019, p. 22 et p. 26).

6

Toutefois, il fut prévu de poursuivre pour une période prolongée et jusqu’à une date ultérieure les réinvestissements des remboursements des titres arrivant à échéance acquis dans le cadre du EAPP pour maintenir des conditions de liquidité favorables et un degré élevé de soutien monétaire (cf. BCE, communiqué de presse du 13 décembre 2018). Cette décision fut confirmée lors des réunions du conseil des gouverneurs de la BCE des 24 janvier 2019, 7 mars 2019, 10 avril 2019, 6 juin 2019 et 25 juillet 2019 (cf. BCE, communiqués de presse respectifs des mêmes dates).

7

Le 12 septembre 2019, le conseil des gouverneurs de la BCE décida de reprendre les achats nets d’actifs à compter du 1er novembre 2019 et à un rythme mensuel de 20 milliards d’euros (cf. BCE, communiqué de presse du 12 septembre 2019, p. 1 ; déclaration introductive relative à la conférence de presse du 12 septembre 2019, p. 1).

8

2. Le PSPP fut mis en place par la décision (UE) 2015/774 du 4 mars 2015. Cette décision fut modifiée par la suite par les décisions (UE) 2015/2101, 2015/2464, 2016/702 et 2017/100, ainsi que par la décision (UE) 2019/1558 du 12 septembre 2019. Le PSPP est de loin le sous-programme le plus volumineux du EAPP. À la date du 8 novembre 2019, l’Eurosystème – c’est-à-dire la BCE et les banques centrales nationales (art. 282, para. 1, 2nde phrase, TFUE) – avait acquis dans le cadre du EAPP des titres d’un montant total de 2 557 800 millions d’euros, dont 2 088 100 millions (81,63 %) pour le PSPP (cf. Bundesbank allemande, rapport mensuel novembre 2019, p. 24).

9

L’effet poursuivi par le PSPP est d’assouplir les conditions monétaires et financières – y compris les conditions d’emprunt des entreprises et des ménages – et, dès lors, de soutenir les investissements et la consommation dans la zone euro et de favoriser un retour à des taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 % (cf. considérant 4 de la décision <UE> 2015/774 précitée).

10

Dans le cadre du PSPP sont achetés des obligations souveraines et des titres de créance négociables comparables émis par l'administration centrale d'un État membre dont la monnaie est l'euro, par des « agences reconnues », par des organisations internationales et par des banques multilatérales de développement situées dans la zone euro (art. 3, para. 1, de la décision <UE> 2015/774 précitée). Sous certaines conditions, des sociétés non financières publiques peuvent être proposées comme émetteurs de titres de créance négociables (art. 3, para. 4, de la décision <UE> 2015/774 précitée), et depuis avril 2016, des titres émis par des administrations régionales ou locales peuvent également faire l’objet des achats (art. 1, no 3, de la décision <UE> 2016/702 précitée).

11

Outre le respect des exigences applicables en matière d’opérations de politique monétaire (orientation BCE/2011/14, modifiée par l’art. 1 de la décision <UE> 2016/702 précitée), les émetteurs doivent bénéficier d'une évaluation de la qualité du crédit équivalant au moins à l'échelon 3 de qualité du crédit (BBB- ou Baa3) (art. 3, para. 2, de la décision <UE> 2015/774 précitée). Lorsqu’elles bénéficient d’une qualité du crédit inférieure, les obligations souveraines émises par des États faisant l’objet d’un programme d’assistance financière peuvent néanmoins être achetées si « le conseil des gouverneurs a suspendu à leur égard l'application du seuil de qualité du crédit conformément à l'article 8 de l'orientation BCE/2014/31 (2) » (art. 3, para. 2, c), de la décision <UE> 2015/774 précitée). Une décision en ce sens a été prise à l’article 1, paragraphe 2, de la décision du 22 juin 2016 (cf. décision <UE> 2016/1041 de la Banque centrale européenne du 22 juin 2016 concernant l'éligibilité des titres de créance négociables émis ou totalement garantis par la République hellénique et abrogeant la décision <UE> 2015/300 <BCE/2016/18>, JO L 169 du 28 juin 2016, p. 14). Le conseil des gouverneurs s’est réservé la compétence de décider de l’achat d’obligations souveraines grecques dans le cadre du PSPP (cf. art. 3 de la décision <UE> 2016/1041 précitée).

12

Dans un premier temps, une limite d’achat par code ISIN (International Securities Identification Number) fixée à 25 % était applicable (art. 5 de la décision <UE> 2015/774 précitée). À partir du 10 novembre 2015, cette limite fut portée à 33 %, pour autant qu'un tel achat de 33 % par code ISIN ne conduise pas les banques centrales nationales à détenir une minorité de blocage dans le cadre de restructurations ordonnées de dettes (cf. art. 1 de la décision <UE> 2015/2101 de la Banque centrale européenne du 5 novembre 2015 modifiant la décision <UE> 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires <BCE/2015/33>, JO L 303 du 20 novembre 2015, p. 106). Pour les titres émis par des organisations internationales et des banques multilatérales de développement, la limite d’achat fut augmentée à 50 % à partir du 19 avril 2016 (cf. art. 1, no 2, para. 1, a), de la décision <UE> 2016/702 précitée).

13

Afin de pouvoir faire l’objet d’achats dans le cadre du PSPP, les titres de créance devaient avoir une échéance résiduelle entre deux ans et 30 ans (art. 3, para. 3, de la décision <UE> 2015/774 précitée). Pour élargir la catégorie des titres de créance éligibles, l’échéance résiduelle minimum exigée fut, à compter du 13 janvier 2017, abaissée à un an (cf. considérant 6 de la décision <UE> 2017/100 de la Banque centrale européenne du 11 janvier 2017 modifiant la décision <UE> 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires <BCE/2017/1>).

14

Le rendement minimum devait dans un premier temps être d’au moins -0,4 % (cf. art. 3, para. 5, de la décision <UE> 2015/774 précitée). À compter du 13 janvier 2017, furent autorisés « dans la mesure nécessaire, les achats de titres au titre d[u] [E]APP avec un rendement à échéance inférieur au taux d’intérêt de la facilité de dépôt de la BCE » (cf. considérant 6 et art. 1, para. 2, de la décision <UE> 2017/100).

15

Pendant une durée déterminée par le conseil des gouverneurs (« période de fenêtre négative »), il est interdit d'effectuer des achats de titres nouvellement émis ou émis en continu ainsi que de titres de créance négociables avec une échéance résiduelle dont la date se situe peu avant ou peu après l'échéance ; cette disposition a pour objectif de permettre la formation d'un prix de marché pour les titres éligibles (art. 4, para. 1, de la décision <UE> 2015/774 précitée). La période de fenêtre négative n’est pas rendue publique, afin de ne pas compromettre son objectif.

16

Pour les titres de créance négociables qu’il est susceptible d’acheter, l’Eurosystème accepte d’être traité de la même façon (pari passu) que les investisseurs privés (cf. considérant 8 de la décision <UE> 2015/774 précitée).

17

Dans le cadre du PSPP, il est prévu que 10 % des titres achetés (avant avril 2016 : 12% ; cf. art. 6, para. 1, de la décision <UE> 2015/774 précitée) soient des titres émis par des organisations internationales et des banques multilatérales de développement et 90 % (auparavant : 88 %) des titres émis par des administrations centrales et des « agences reconnues » (cf. art. 1, no 3 de la décision <UE> 2016/702 précitée). Sur ce fondement, la BCE et les banques centrales nationales ont procédé depuis le 9 mars 2015 à des achats sur les marchés secondaires d’obligations souveraines et de titres de créance négociables assimilés (art. 1 de la décision <UE> 2015/774 précitée). La quote-part des achats s’élève à 10 % (avant avril 2016 : 8 %) pour la BCE et à 90 % (auparavant : 92 %) pour les banques centrales nationales (art. 6, para. 2, 1re phrase, de la décision <UE> 2015/774 précitée, modifiée par l’art. 1 de la décision <UE> 2015/2101 précitée). La répartition des achats entre les banques centrales nationales s’effectue selon la clé de répartition pour la souscription au capital de la BCE prévue à l’article 29 des Statuts du SEBC (art. 6, para. 2, 2nde phrase, de la décision <UE> 2015/774 précitée). La quote-part de la Bundesbank allemande s’élève, conformément à la modification périodique de la clé de répartition entrée en vigueur le 1er janvier 2019, actuellement à 26,4 % (cf. Bundesbank allemande, rapport annuel 2018, p. 53). Ce faisant, les conditions suivantes s’appliquent : Les banques centrales nationales achètent uniquement des titres émis par l’administration centrale de leur propre pays ou par des émetteurs relevant de la compétence nationale (cf. Bundesbank allemande, rapport annuel 2015, p. 84) ; des exceptions ne sont prévues qu’en ce qui concerne les organisations internationales et les banques multilatérales de développement, dont les titres émis peuvent être achetés par toutes les banques centrales nationales (art. 6, para. 2 et para. 3, de la décision <UE> 2015/774 précitée).

18

De la répartition des achats effectués dans le cadre du PSPP entre la BCE d’une part et les banques centrales nationales d’autre part découle, selon la BCE, un principe de partage des risques (cf. BCE, communiqué de presse du 10 mars 2016) en ce qui concerne les « pertes hypothétiques » liées à certaines obligations (cf. BCE, communiqué de presse du 22 janvier 2015). Il résulte de décisions non publiées qu’un tel partage des risques est supposé pour 20 % des achats, dont font partie les 10 % des achats effectués directement par la BCE et les 10 % de titres que les banques centrales nationales achètent d’institutions européennes (cf. Bundesbank allemande, rapport mensuel juin 2016, p. 32, note de bas de page no 4 ; Bundesbank allemande, rapport mensuel juillet 2018, p. 18). Pour le reste, les banques centrales nationales assument seules la responsabilité pour les achats qu’elles effectuent (cf. Bundesbank allemande, rapport mensuel juin 2016, p. 32, note de bas de page no 4). Toutefois, aucune décision ne règle explicitement la question de la manière dont les pertes sont supportées.

II.

19

1. Les requérants sous I. critiquent d’une part l’omission du Bundestag et du gouvernement fédéral de prendre des mesures contre le PSPP et d’autre part l’inaction de la Bundesbank allemande, qui n’a pas formé de recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) contre son implication dans le PSPP.

20

a) […] En ce qui concerne le recours contre la décision du conseil des gouverneurs de la BCE relative au CSPP (BCE, communiqué de presse du 10 mars 2016) et la décision du 1er juin 2016 (décision <UE> 2016/948 de la Banque centrale européenne du 1er juin 2016 relative à la mise en œuvre du programme d’achat de titres du secteur des entreprises, JO L 157 du 15 juin 2016, p. 28), la chambre a décidé le 20 janvier 2020 de le traiter dans le cadre d’une procédure séparée.

21

 […]

22-32

b) […]

33

2. Les requérants sous II. dirigent leurs recours contre l’application et la mise en œuvre en droit interne des décisions du conseil des gouverneurs de la BCE du 22 janvier 2015 et du 4 mars 2015, ainsi que contre les décisions qui les ont modifiées. En outre, ils contestent l’omission du gouvernement fédéral et du Bundestag d’agir pour que les décisions susmentionnées soient abrogées et que des mesures adaptées soient prises pour que les effets qui résultent en droit interne de l’exécution continue de ces décisions demeurent limités le plus possible. Subsidiairement, ils demandent que soit constaté que le gouvernement fédéral et le Bundestag ont, en violation de leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne, omis de traiter de la question de déterminer de quelle manière, compte tenu des décisions susmentionnées, la répartition des compétences dans l’Union européenne puisse être rétablie tout en préservant l’identité constitutionnelle de l’Allemagne. […]

34-41

 […]

42

3. Le requérant sous III. critique l’omission du gouvernement fédéral de prendre des mesures adaptées pour s’opposer à ce que, avec les décisions relatives au PSPP et la mise en œuvre de ce programme, la BCE outrepasse sa compétence en matière de politique monétaire et empiète sur la compétence des États membres en matière de politique économique, viole l’interdiction du financement monétaire des États par les banques centrales et porte atteinte à l’identité constitutionnelle de l’Allemagne. […] En outre, il critique que des membres du conseil des gouverneurs dont il conteste l’impartialité aient pris part aux décisions sur lesquelles se fonde le programme.

43-52

 […]

53

4. Les requérants sous IV. contestent les décisions du conseil des gouverneurs de la BCE relatives au PSPP et au CSPP, l’exécution des programmes par la BCE et la Bundesbank, ainsi que l’inaction de la Bundesbank, du gouvernement fédéral et du Bundestag en la matière. En ce qui concerne le recours constitutionnel dirigé contre le CSPP, la chambre a décidé le 20 janvier 2020 de le traiter dans le cadre d’une procédure séparée. En outre, les requérants demandent que soit constaté que l’annonce du PSPP par la BCE le 22 janvier 2015, la décision relative au PSPP prise le 4 mars 2015, ainsi que la poursuite régulière des achats mensuels d’actifs sur le fondement de ce programme constituent un excès des compétences attribuées à la BCE par le droit primaire suffisamment caractérisé, ce qui a pour effet de violer à la fois le programme d’intégration tel que consacré par la loi d’approbation adoptée en vertu de l’article 23, alinéa 1, 2e phrase, LF et le principe de la souveraineté populaire consacré à l’article 20, alinéa 2, 1re phrase, LF et, dès lors, de porter atteinte au droit fondamental que les requérants sous IV. tiennent en vertu de l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF. Ces requérants demandent en outre qu’il soit interdit à la Bundesbank d’apporter son concours à l’établissement, à la mise en œuvre, à l’exécution et à l’opérationnalisation du PSPP. En dernier lieu, ils demandent que soit constaté que le gouvernement fédéral a violé le droit fondamental qu’ils tiennent en vertu de l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF, combiné à l’article 20, alinéas 1 et 2, LF, et à l’article 79, alinéa 3, LF, dans la mesure où il s’est abstenu d’agir contre les décisions précitées et – tant que ces mesures perdurent – d’agir pour que les effets qui en résultent en droit interne demeurent limités le plus possible.

54-61

 […]

III.

62

1. Les recours constitutionnels ont été communiqués pour avis au Bundestag, au Bundesrat, à la chancellerie fédérale, au ministère fédéral de l’Intérieur, au ministère fédéral de la Justice et de la Protection des Consommateurs, au ministère fédéral des Finances, ainsi qu’aux gouvernements de tous les Länder. Seul le gouvernement fédéral a transmis un avis à la Cour constitutionnelle fédérale (2.). Le président de la Bundesbank allemande (3.), ainsi que le président de la BCE (4.) ont chacun communiqué une prise de position portant sur la liste de questions que la chambre leur avait envoyée préalablement à l’audience publique.

63

2. Le gouvernement fédéral estime que les recours constitutionnels sont pour partie irrecevables […] et les considère pour le reste comme infondés […].

64-68

[…]

69-74

3. [...]

75-79

4. […]

IV.

80

1. Par décision du 18 juillet 2017, la chambre a suspendu les procédures relatives aux recours constitutionnels et a posé à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes selon la procédure prévue par l’article 267, paragraphe 1, TFUE (Recueil des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale BVerfGE 146, 216 <219 sqq.>) :

1. La décision (UE) 2015/774 de la Banque centrale européenne du 4 mars 2015 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2015/10), dans la rédaction de la décision (UE) 2015/2101 de la Banque centrale européenne du 5 novembre 2015 modifiant la décision (UE) 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2015/33), de la décision (UE) 2016/702 de la Banque centrale européenne du 18 avril 2016 modifiant la décision (UE) 2015/774 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2016/8), ainsi que de la décision (UE) 2016/1041 de la Banque centrale européenne du 22 juin 2016 concernant l’éligibilité des titres de créance négociables émis ou totalement garantis par la République hellénique et abrogeant la décision (UE) 2015/300 (BCE/2016/18), ou la manière dont elle est mise en œuvre, enfreint-elle l’article 123, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?

Y a-t-il notamment violation de l’article 123, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne si, dans le cadre du programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (PSPP),

a) des détails relatifs aux achats sont communiqués d’une manière qui fait naître sur les marchés la certitude de fait que l’Eurosystème achètera pour partie des obligations qui seront émises par les États membres ?
b) si, même a posteriori, aucun détail relatif au respect de délais minimaux entre l’émission d’un titre de créance sur le marché primaire et son achat sur le marché secondaire n’est communiqué, si bien qu’aucun contrôle juridictionnel n’est possible à cet égard ?
c) si la totalité des obligations acquises est non pas revendue, mais conservée jusqu’à l’échéance et donc retirée du marché ?
d) si l’Eurosystème acquiert des titres de créance négociables nominaux à un taux de rendement négatif ?

2. La décision visée dans la première question enfreint-elle en tout cas l’article 123 TFUE si, en raison de modifications de la situation sur les marchés financiers, notamment en raison de la raréfaction des titres de créance susceptibles d’être achetés, la poursuite de sa mise en œuvre requiert un assouplissement continu des règles d’achat applicables initialement et si les limites fixées par la jurisprudence de la Cour de justice à un programme d’achats d’obligations comme le PSPP sont privées d’effet ?

3. La décision (UE) 2015/774 de la Banque centrale européenne du 4 mars 2015 visée dans la première question, dans sa rédaction actuellement en vigueur, enfreint-elle les articles 119 et 127, paragraphes 1 et 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que les articles 17 à 24 du protocole sur les Statuts du Système européen des banques centrales et de la Banque centrale européenne, au motif qu’elle excède le mandat de la Banque centrale européenne en matière de politique monétaire, tel que le régissent ces dispositions, et qu’elle empiète par conséquent sur la compétence des États membres ?

Y a-t-il notamment un dépassement du mandat de la Banque centrale européenne au motif que

a) la décision visée dans la première question a une influence importante sur les conditions de refinancement des États membres en raison du volume du PSPP, qui s’élevait à 1 534,8 milliards d’euros le 12 mai 2017 ?
b) la décision visée dans la première question, compte tenu de l’amélioration des conditions de financement des États membres visées sous a) et des effets de celle-ci sur les banques commerciales, non seulement a des conséquences indirectes en matière de politique économique, mais aussi que ses effets objectivement déterminables laissent penser que, outre l’objectif de politique monétaire, le programme poursuit au moins autant un objectif de politique économique ?
c) la décision visée dans la première question, en raison de ses effets importants en matière de politique économique, est contraire au principe de proportionnalité ?
d) en l’absence de motivation spécifique depuis que la décision visée dans la première question est en cours d’exécution, c’est-à-dire depuis plus de deux ans, il est impossible de contrôler si elle reste nécessaire et proportionnée ?

4. La décision visée dans la première question enfreint-elle en tout cas les articles 119 et 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, ainsi que les articles 17 à 24 du protocole sur les Statuts du Système européen des banques centrales et de la Banque centrale européenne, au motif que son volume et son exécution en cours depuis plus de deux ans, ainsi que les effets en matière de politique économique qui en découlent, donnent lieu à changer d’appréciation quant à la nécessité et à la proportionnalité du PSPP et qu’ainsi, à partir d’un certain moment, elle excède le mandat de politique monétaire de la Banque centrale européenne ?

5. La répartition illimitée des risques entre les banques centrales nationales de l’Eurosystème en cas de défaillance concernant des obligations de gouvernements centraux et d’émetteurs assimilés, répartition qui pourrait découler de la décision visée dans la première question, enfreint-elle les articles 123 et 125 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que l’article 4, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne, si elle peut rendre nécessaire une recapitalisation de banques centrales nationales avec des ressources budgétaires ?

81

2. Par arrêt du 11 décembre 2018 (Weiss e.a., affaire C-493/17, EU:C:2018:1000), la Cour de justice a tranché le renvoi préjudiciel et relevé que l’examen des questions préjudicielles nos 1 à 4 n’avait pas permis de conclure que la validité de la décision (UE) 2015/774 de la BCE du 4 mars 2015 concernant un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires dans la rédaction de la décision (UE) 2017/100 était entachée. La question préjudicielle no 5 a été déclarée irrecevable. En détail, la Cour de justice estime :

Sur le respect de l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE

(…)

30 À cet égard, en ce qui concerne l’absence alléguée de motivation spécifique des décisions de la BCE relatives au PSPP, il convient de rappeler que, dans les cas, tels que celui en cause dans la présente affaire, où une institution de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le contrôle du respect des garanties procédurales, parmi lesquelles figure l’obligation pour le SEBC d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents de la situation en cause et de motiver ses décisions de façon suffisante, revêt une importance fondamentale (…).

31 Selon une jurisprudence constante de la Cour, si la motivation d’un acte de l’Union, exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte concerné de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle, il n’est toutefois pas exigé qu’elle spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents (…).

32 En particulier, lorsqu’il s’agit d’un acte destiné à une application générale faisant ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par les institutions, il ne saurait être exigé une motivation spécifique pour chacun des choix techniques qu’elles ont opérés (…).

33 Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (…).

34 En l’occurrence, les considérants 3 et 4 de la décision 2015/774 font état, à la fois, de l’objectif poursuivi par le PSPP, du contexte économique ayant justifié la mise en place de ce programme et des mécanismes par lesquels celui-ci est appelé à produire ses effets.

35 Si les exposés des motifs des décisions 2015/2464, 2016/702 et 2017/100 ne reproduisent pas ces éléments de motivation relatifs au PSPP, ils comprennent, en revanche, des explications relatives aux considérations ayant justifié les modifications des règles régissant le PSPP auxquelles ces décisions procèdent.

36 En outre, divers documents publiés par la BCE à l’occasion de l’adoption de chacune de ces décisions complètent la motivation desdites décisions en exposant, de manière détaillée, les analyses économiques sous-tendant celles-ci, les différentes options envisagées par le conseil des gouverneurs et les raisons justifiant les choix opérés, au regard, notamment, des effets constatés et escomptés du PSPP.

37 Ainsi, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 133 à 138 et 144 à 148 de ses conclusions, les décisions successives de la BCE relatives au PSPP ont été systématiquement éclairées par la publication de communiqués de presse, de déclarations introductives du président de la BCE lors de conférences de presse, accompagnées de réponses aux questions posées par la presse, et de comptes rendus des réunions de politique monétaire du conseil des gouverneurs de la BCE retraçant les débats menés au sein de cette instance.

38 À cet égard, il importe, en particulier, de souligner que ces comptes rendus comportent, notamment, des justifications de l’évolution, à la hausse puis à la baisse, du montant mensuel d’acquisition d’obligations ainsi que du réinvestissement des sommes perçues à l’échéance des obligations acquises et montrent, dans ce cadre, une prise en compte des effets secondaires potentiels du PSPP, y compris ses conséquences éventuelles sur les choix budgétaires des États membres concernés.

39 Le président de la BCE a, lors de conférences de presse successives, expliqué que ce sont les taux d’inflation exceptionnellement bas, comparés à l’objectif de maintien de la stabilité des prix par un retour à des taux annuels d’inflation plus proches de 2 %, qui ont justifié la mise en place du PSPP et les ajustements réguliers apportés à ce programme. En effet, avant l’adoption des décisions 2015/774, 2015/2464, 2016/702 et 2017/100, le taux annuel d’inflation était respectivement de – 0,2 %, 0,1 %, 0,3 % et 0,6 %. Ce n’est que dans sa conférence de presse du 7 septembre 2017 que le président de la BCE a annoncé que le taux annuel d’inflation avait atteint 1,5 %, s’approchant ainsi de l’objectif visé.

40 Aux divers documents mentionnés au point 37 du présent arrêt, qui ont été présentés aussi bien lors de l’institution du PSPP qu’à l’occasion des réexamens et des modifications de ce programme, s’ajoute de surcroît la publication, dans le Bulletin économique de la BCE, d’analyses générales sur la situation monétaire de la zone euro et de plusieurs études spécifiques consacrées aux effets de l’APP et du PSPP.

41 Il découle de l’ensemble de ces éléments que le SEBC a exposé en quoi le niveau durablement insuffisant de l’inflation et l’épuisement des outils habituellement utilisés pour mener sa politique monétaire l’ont conduit à considérer comme nécessaire l’adoption puis la mise en œuvre, à compter de l’année 2015, d’un programme d’acquisition d’actifs présentant les caractéristiques du PSPP, aussi bien dans son principe que dans ses diverses modalités.

42 Au regard des principes rappelés aux points 31 à 33 du présent arrêt, ces éléments permettent d’établir que la BCE a motivé de manière suffisante la décision 2015/774.

43 Quant à l’absence de publication a posteriori de détails relatifs à la période de fenêtre négative, il y a lieu de relever que, dans la mesure où une telle publication viserait à exposer le contenu précis des mesures adoptées par le SEBC et non pas les justifications de ces mesures, celle‑ci ne saurait être imposée au titre de l’obligation de motivation.

(…)

Sur l’article 119 et l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, ainsi que sur les articles 17 à 24 du protocole sur le SEBC et la BCE

(…)

Sur les attributions du SEBC

46 Il convient de relever que, en vertu de l’article 119, paragraphe 2, TFUE, l’action des États membres et de l’Union comporte une monnaie unique, l’euro, ainsi que la définition et la conduite d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques (…).

47 En ce qui concerne plus spécifiquement la politique monétaire, il ressort de l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE que l’Union dispose d’une compétence exclusive dans ce domaine pour les États membres dont la monnaie est l’euro (…).

48 En vertu de l’article 282, paragraphe 1, TFUE, la BCE et les banques centrales des États membres dont la monnaie est l’euro, qui constituent l’Eurosystème, conduisent la politique monétaire de l’Union. Selon l’article 282, paragraphe 4, TFUE, la BCE adopte les mesures nécessaires à l’accomplissement de ses missions conformément aux articles 127 à 133 et 138 TFUE, ainsi qu’aux conditions prévues par les statuts du SEBC et de la BCE (…).

49 Dans ce cadre, il revient au SEBC, en application de l’article 127, paragraphe 2, de l’article 130 et de l’article 282, paragraphe 3, TFUE, de définir et de mettre en œuvre cette politique de manière indépendante, dans le respect du principe d’attribution qu’il appartient à la Cour d’assurer, dans les conditions prévues par les traités, par son contrôle juridictionnel (…).

50 À cet égard, il importe de relever que le traité FUE ne contient aucune définition précise de la politique monétaire, mais définit à la fois les objectifs de la politique monétaire et les moyens dont dispose le SEBC pour mettre en œuvre cette politique (…).

51 Ainsi, en vertu de l’article 127, paragraphe 1, et de l’article 282, paragraphe 2, TFUE, l’objectif principal de la politique monétaire de l’Union est le maintien de la stabilité des prix. Ces mêmes dispositions prévoient, par ailleurs, que, sans préjudice de cet objectif, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de celle-ci, tels que définis à l’article 3 TUE (…).

52 Quant aux moyens attribués au SEBC par le droit primaire en vue de réaliser ces objectifs, il convient de souligner que le chapitre IV du protocole sur le SEBC et la BCE, qui précise les fonctions monétaires et les opérations assurées par le SEBC, énumère les instruments auxquels le SEBC peut avoir recours dans le cadre de la politique monétaire (…).

Sur la délimitation de la politique monétaire de l’Union

53 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en vue de déterminer si une mesure relève de la politique monétaire, il convient de se référer principalement aux objectifs de cette mesure. Les moyens que celle-ci met en œuvre en vue d’atteindre ces objectifs sont également pertinents (…).

54 En premier lieu, en ce qui concerne les objectifs de la décision 2015/774, il ressort du considérant 4 de cette décision que celle-ci vise à favoriser le retour à moyen terme à des taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 %.

55 À cet égard, il importe de souligner que les auteurs des traités ont fait le choix de définir l’objectif principal de la politique monétaire de l’Union, à savoir le maintien de la stabilité des prix, de façon générale et abstraite, sans déterminer précisément la manière dont ledit objectif devait être concrétisé sur le plan quantitatif.

56 Or, il n’apparaît pas que la concrétisation de l’objectif de maintien de la stabilité des prix comme le maintien, à moyen terme, de taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 %, retenue depuis l’année 2003 par le SEBC, soit entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et sorte du cadre établi par le traité FUE. Ainsi que l’a exposé la BCE, un tel choix peut être valablement fondé, notamment, sur l’imprécision des instruments de mesure de l’inflation, sur l’existence d’écarts sensibles d’inflation au sein de la zone euro et sur la nécessité de préserver une marge de sécurité pour prévenir l’apparition éventuelle d’un risque de déflation.

57 Il s’ensuit que, ainsi que le soutient la BCE et que le relève d’ailleurs la juridiction de renvoi, l’objectif spécifique énoncé au considérant 4 de la décision 2015/774 peut être rattaché à l’objectif principal de la politique monétaire de l’Union, tel qu’il résulte de l’article 127, paragraphe 1, et de l’article 282, paragraphe 2, TFUE.

58 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance, mise en avant par la juridiction de renvoi, selon laquelle le PSPP aurait des effets considérables sur le bilan des banques commerciales ainsi que sur les conditions de financement des États membres de la zone euro.

59 En l’occurrence, il est constant que, par son principe et ses modalités, le PSPP est de nature à exercer une influence tant sur le bilan des banques commerciales que sur le financement des États membres couverts par ce programme et que de tels effets pourraient éventuellement être recherchés au travers de mesures relevant de la politique économique.

60 À cet égard, il importe de souligner que l’article 127, paragraphe 1, TFUE prévoit notamment que, d’une part, sans préjudice de son objectif principal de maintenir la stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union et que, d’autre part, le SEBC doit agir en respectant les principes fixés à l’article 119 TFUE. Il s’ensuit que, au sein de l’équilibre institutionnel établi par les dispositions figurant au titre VIII du traité FUE, dans lequel s’insère l’indépendance garantie au SEBC par l’article 130 et l’article 282, paragraphe 3, TFUE, les auteurs des traités n’ont pas entendu opérer une séparation absolue entre les politiques économique et monétaire.

61 Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’une mesure de politique monétaire ne peut être assimilée à une mesure de politique économique en raison du seul fait qu’elle est susceptible de produire des effets indirects pouvant également être recherchés dans le cadre de la politique économique (…).

62 La conception de la juridiction de renvoi, selon laquelle tout effet d’un programme d’opérations d’open market sciemment accepté et prévisible avec certitude par le SEBC lors de l’établissement de ce programme ne devrait pas être regardé comme un « effet indirect » de celui-ci, ne saurait être retenue.

63 En effet, premièrement, tant dans l’arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (…), la Cour a considéré comme des effets indirects, dépourvus de conséquences sur la qualification des mesures en cause dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, des effets qui, dès l’adoption de ces mesures, constituaient des conséquences prévisibles desdites mesures, qui devaient donc avoir été sciemment acceptées lors de cette adoption.

64 Deuxièmement, il y a lieu de rappeler que la conduite de la politique monétaire implique en permanence d’agir sur les taux d’intérêt et les conditions de refinancement des banques, ce qui a nécessairement des conséquences sur les conditions du financement du déficit public des États membres (…).

65 Plus précisément, ainsi que l’a exposé la BCE devant la Cour, la transmission des mesures de politique monétaire du SEBC à l’évolution des prix passe notamment par la facilitation de la fourniture de crédit à l’économie ainsi que par la modification des comportements des opérateurs économiques et des particuliers en matière d’investissement, de consommation et d’épargne.

66 Partant, en vue d’exercer une influence sur les taux d’inflation, le SEBC est nécessairement conduit à adopter des mesures ayant certains effets sur l’économie réelle, qui pourraient aussi être recherchés, à d’autres fins, dans le cadre de la politique économique. En particulier, lorsque le maintien de la stabilité des prix impose au SEBC de chercher à augmenter l’inflation, les mesures que le SEBC doit adopter en vue d’assouplir, à cette fin, les conditions monétaires et financières dans la zone euro peuvent impliquer d’agir sur les taux d’intérêt des obligations souveraines, en raison, notamment, du rôle déterminant de ces taux d’intérêt sur la fixation des taux d’intérêt applicables aux différents acteurs économiques (…).

67 Dans ces conditions, exclure toute possibilité, pour le SEBC, d’adopter de telles mesures quand leurs effets sont prévisibles et sciemment assumés lui interdirait, en pratique, d’utiliser les moyens mis à sa disposition par les traités en vue de réaliser les objectifs de la politique monétaire et pourrait, notamment dans le contexte d’une situation de crise économique impliquant un risque de déflation, constituer un obstacle dirimant à la réalisation de la mission qui lui échoit en vertu du droit primaire.

68 En second lieu, s’agissant des moyens mobilisés dans le cadre de la décision 2015/774 afin d’atteindre l’objectif de maintien de la stabilité des prix, il est constant que le PSPP repose sur l’acquisition d’obligations souveraines sur les marchés secondaires.

69 Or, il ressort clairement de l’article 18, paragraphe 1, du protocole sur le SEBC et la BCE, figurant au chapitre IV de ce protocole, que, afin d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, tels qu’ils résultent du droit primaire, la BCE et les banques centrales des États membres peuvent, en principe, intervenir sur les marchés de capitaux en achetant et en vendant ferme des titres négociables libellés en euros. Il s’ensuit que les opérations prévues par la décision 2015/774 utilisent l’un des instruments de la politique monétaire prévus par le droit primaire (…).

70 Au vu de ces éléments, il apparaît que, eu égard à l’objectif de la décision 2015/774 et aux moyens prévus aux fins d’atteindre celui-ci, une telle décision relève du domaine de la politique monétaire.

Sur la proportionnalité aux objectifs de la politique monétaire

71 Il découle de l’article 119, paragraphe 2, et de l’article 127, paragraphe 1, TFUE, lus en combinaison avec l’article 5, paragraphe 4, TUE, qu’un programme d’acquisition d’obligations relevant de la politique monétaire ne peut être valablement adopté et mis en œuvre que pour autant que les mesures qu’il comporte sont proportionnées aux objectifs de cette politique (…).

72 Le principe de proportionnalité exige, selon une jurisprudence constante de la Cour, que les actes des institutions de l’Union soient propres à assurer la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs (…).

73 En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, le SEBC étant appelé, lorsqu’il élabore et met en œuvre un programme d’opérations d’open market tel que celui prévu dans la décision 2015/774, à procéder à des choix de nature technique et à effectuer des prévisions et des appréciations complexes, il y a lieu de lui reconnaître, dans ce cadre, un large pouvoir d’appréciation (…).

74 S’agissant, en premier lieu, de l’aptitude du PSPP à atteindre les objectifs poursuivis par le SEBC, il ressort du considérant 3 de la décision 2015/774, des documents publiés par la BCE lors de l’adoption de cette décision ainsi que des observations présentées à la Cour que cette décision a été adoptée à la lumière de plusieurs facteurs augmentant nettement le risque d’une baisse des prix à moyen terme, dans le contexte d’une situation de crise économique impliquant un risque de déflation.

75 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que, malgré les mesures de politique monétaire adoptées, les taux annuels d’inflation de la zone euro étaient alors largement inférieurs à l’objectif de 2 % fixé par le SEBC, ceux-ci ne dépassant pas – 0,2 % au mois de décembre 2014, et que les prévisions d’évolution de ces taux disponibles à cette date prévoyaient que ces derniers se maintiendraient à un niveau très bas ou négatif au cours des prochains mois. Si les conditions monétaires et financières de la zone euro ont par la suite évolué progressivement, il n’en demeure pas moins que, à la date de l’adoption de la décision 2017/100, les taux annuels d’inflation effectifs demeuraient sensiblement en deçà de 2 %, avec un taux de 0,6 % au mois de novembre 2016.

76 Dans ce contexte, il découle du considérant 4 de la décision 2015/774 que, aux fins d’atteindre l’objectif de taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 %, le PSPP vise à assouplir les conditions monétaires et financières, y compris celles des sociétés non financières et des ménages, en vue de soutenir la consommation globale et les dépenses d’investissement dans la zone euro et de favoriser, en fin de compte, le retour à moyen terme aux taux d’inflation visés.

77 La BCE s’est à cet égard référée à la pratique d’autres banques centrales et à diverses études, qui témoignent de ce que l’acquisition massive d’obligations souveraines est susceptible de contribuer à la réalisation de cet objectif par la facilitation de l’accès aux financements utiles à l’expansion de l’activité économique à la fois en donnant un signal clair de l’engagement du SEBC à atteindre l’objectif d’inflation fixé, en favorisant la baisse des taux d’intérêt réels et en poussant les banques commerciales à accorder davantage de crédits pour rééquilibrer leurs portefeuilles.

78 Partant, au vu des éléments en possession de la Cour, il n’apparaît pas que l’analyse économique du SEBC, selon laquelle le PSPP était susceptible, dans les conditions monétaires et financières de la zone euro, de contribuer à la réalisation de l’objectif de maintien de la stabilité des prix est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

79 Il convient donc, en deuxième lieu, de vérifier si le PSPP ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

80 À cet égard, il convient de relever que ce programme a été adopté dans un contexte décrit par la BCE comme marqué, d’une part, par un niveau d’inflation durablement bas pouvant créer le risque d’enclencher un cycle de déflation et, d’autre part, par une incapacité à contrer ce risque par l’emploi des autres outils dont disposait le SEBC en vue d’assurer une augmentation des taux d’inflation. Sur ce dernier point, il apparaît, notamment, que les taux directeurs étaient fixés à un niveau proche des planchers envisageables et que le SEBC avait déjà mis en œuvre, depuis plusieurs mois, un programme d’achat massif d’actifs du secteur privé.

81 Dans ces conditions, au regard des effets prévisibles du PSPP et dès lors qu’il n’apparaît pas que l’objectif poursuivi par le SEBC aurait pu être atteint par un autre type de mesures de politique monétaire, impliquant une action plus limitée de celui-ci, il y a lieu de considérer que, dans son principe même, le PSPP ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif.

82 S’agissant des modalités d’application du PSPP, l’architecture de ce programme contribue également à garantir que les effets de celui-ci se limitent à ce qui est nécessaire pour réaliser ledit objectif, dans la mesure, notamment, où l’absence de sélectivité dudit programme assure que l’action du SEBC produira ses effets sur les conditions financières de l’ensemble de la zone euro et ne répondra pas aux besoins spécifiques de financement de certains États membres de cette zone.

83 De même, le choix, énoncé à l’article 3 de la décision 2015/774, de subordonner l’acquisition d’obligations au titre du PSPP au respect de critères élevés d’éligibilité a pour effet de restreindre les effets de ce programme sur le bilan des banques commerciales, en excluant que la mise en œuvre de celui-ci ait pour effet de permettre à ces banques de revendre au SEBC des titres présentant un niveau de risque important.

84 Le PSPP est, en outre, appelé, depuis l’origine, à être mis en œuvre uniquement durant la période nécessaire pour atteindre l’objectif visé et présente donc un caractère temporaire.

85 Il résulte ainsi du considérant 7 de la décision 2015/774 que sa durée d’application prévisible s’étendait initialement jusqu’à la fin du mois de septembre 2016. Cette durée a ensuite été prolongée jusqu’à la fin du mois de mars 2017 puis jusqu’à celle du mois de décembre 2017, comme l’énoncent respectivement le considérant 3 de la décision 2015/2464 et le considérant 4 de la décision 2017/100. Les décisions prises à cet égard ont, à cette fin, été inscrites à l’article 2, paragraphe 2, des lignes directrices relatives à un programme d’achats d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires (BCE/2015/NP3) (ci-après les « lignes directrices »), qui lient les banques centrales des États membres en vertu de l’article 12, paragraphe 1, du protocole sur le SEBC et la BCE.

86 Il n’apparaît pas que cette durée initiale ou ses prolongations successives dépassent manifestement ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif visé, dès lors que celles-ci ont toujours couvert des périodes relativement courtes et qu’elles ont été décidées en tenant compte du fait que l’évolution observée des taux d’inflation était insuffisante pour atteindre l’objectif visé par la décision 2015/774.

87 Quant au volume des obligations pouvant être acquises dans le cadre du PSPP, il y a lieu, tout d’abord, de souligner qu’une série de règles ont été adoptées, en vue de le limiter par avance.

88 Ainsi, ce volume a, dès l’origine, été encadré par la fixation d’un montant mensuel d’acquisition d’actifs au titre de l’APP. Ce montant, qui a été régulièrement révisé afin de le limiter à ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif annoncé, figure au considérant 7 de la décision 2015/774, au considérant 3 de la décision 2016/702 ainsi qu’au considérant 5 de la décision 2017/100 et a été inscrit à l’article 2, paragraphe 2, des lignes directrices. Il résulte également de cette dernière disposition qu’une priorité est donnée aux obligations émises par des opérateurs privés pour atteindre le montant mensuel d’acquisition d’actifs au titre de l’APP, pris globalement.

89 En outre, l’ampleur de l’intervention potentielle du SEBC sur les marchés secondaires, dans le cadre du PSPP, est également restreinte par les règles énoncées à l’article 5 de la décision 2015/774, qui établissent des plafonds stricts d’achat par émission et par émetteur.

90 Ensuite, s’il est vrai que, malgré ces diverses limites, le volume total des obligations pouvant être acquises au titre du PSPP demeure important, la BCE a fait pertinemment valoir que l’efficacité d’un tel programme, au travers des mécanismes décrits au point 77 du présent arrêt, repose sur l’acquisition et la conservation d’un large volume d’obligations souveraines, ce qui implique non seulement que les acquisitions réalisées doivent présenter un volume suffisant, mais également qu’il peut se révéler nécessaire, en vue de réaliser l’objectif visé par la décision 2015/774, de conserver durablement les obligations acquises et de réinvestir les sommes issues du remboursement de celles-ci à leur échéance.

91 À cet égard, il importe de rappeler que la circonstance que cette analyse motivée fait l’objet de contestations ne saurait suffire, en tant que telle, pour établir l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise le SEBC, étant donné que, au vu du caractère controversé que revêtent habituellement les questions de politique monétaire et du large pouvoir d’appréciation dont bénéficie le SEBC, il ne saurait être exigé davantage de celui-ci que l’utilisation de son expertise économique et des moyens techniques nécessaires dont il dispose afin d’effectuer ladite analyse avec diligence et précision (…).

92 Enfin, il convient de souligner que, au regard des éléments contenus dans le dossier en possession de la Cour et du large pouvoir d’appréciation dont dispose le SEBC, il n’apparaît pas de manière manifeste qu’un programme d’acquisition d’obligations souveraines plus limité dans son volume ou dans sa durée aurait pu, de manière aussi efficace et rapide que le PSPP, assurer une évolution de l’inflation similaire à celle recherchée par le SEBC, en vue de réaliser l’objectif principal de la politique monétaire fixé par les auteurs des traités.

93 En troisième lieu, il apparaît, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 148 de ses conclusions, que le SEBC a pondéré les différents intérêts en présence de manière à effectivement éviter que puissent se produire, lors de la mise en œuvre du PSPP, des inconvénients manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi par celui-ci.

94 En particulier, si, comme a déjà pu le constater la Cour au point 125 de l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. […], les opérations d’open market autorisées par les auteurs des traités comportent inévitablement un risque de pertes, il n’en demeure pas moins que le SEBC a adopté diverses mesures destinées à encadrer et à prendre en compte ce risque.

95 Ainsi, les règles mentionnées aux points 83 et 89 du présent arrêt ont également pour effet de diminuer ledit risque, en limitant l’exposition du SEBC au défaut éventuel de l’émetteur d’une partie des obligations acquises et en garantissant que des obligations présentant un risque notable de défaut ne pourront pas être acquises dans le cadre du PSPP. Il résulte d’ailleurs de l’article 4, paragraphe 3, des lignes directrices que la BCE assure un contrôle constant du respect de ces règles par les banques centrales des États membres.

96 En outre, en vue d’éviter que la situation d’une banque centrale d’un État membre puisse être fragilisée en cas d’incident de remboursement d’un émetteur d’un autre État membre, l’article 6, paragraphe 3, de la décision 2015/774 prévoit que chaque banque centrale nationale achète des titres éligibles provenant d’émetteurs de son propre pays.

97 Si, en dépit de ces mesures préventives, l’acquisition de titres dans le cadre du PSPP devait déboucher sur des pertes, le cas échéant, notables, il ressort des indications fournies à la Cour que les règles de répartition des pertes, qui ont été établies dès l’origine de ce programme et qui ont par la suite été maintenues, prévoient, s’agissant des pertes éventuelles d’une banque centrale nationale afférentes audit programme, le partage des seules pertes trouvant leur origine dans des titres émis par des émetteurs internationaux, lesquels représentent 10 % du volume total du PSPP en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la décision 2015/774. En revanche, aucune règle permettant le partage des pertes d’une banque centrale d’un État membre découlant des titres émis par des émetteurs de ce dernier n’a été adoptée par le SEBC. L’adoption d’une telle règle n’a, par ailleurs, pas non plus été annoncée par le SEBC.

98 Il ressort de ce qui précède que le SEBC a dûment pris en considération les risques auxquels l’important volume des acquisitions d’actifs réalisées au titre du PSPP pouvait, le cas échéant, exposer les banques centrales des États membres et qu’il a, au vu des intérêts en présence, estimé qu’il convenait de ne pas instaurer de règle générale de partage des pertes.

99 Quant aux pertes éventuelles de la BCE afférentes au PSPP, notamment dans l’hypothèse où elle acquerrait, dans la limite de la quote-part de 10 % qui lui est affectée par l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2015/774, exclusivement ou essentiellement des titres émis par des autorités nationales, il convient de relever que, au-delà des garanties contre un tel risque qu’offrent tant les critères élevés d’éligibilité énoncés à l’article 3 de cette décision que les limites de détention par émission et par émetteur résultant de l’article 5 de ladite décision, le SEBC n’a adopté aucune règle dérogeant au régime général de répartition des pertes de la BCE qui découle de l’application combinée de l’article 32, paragraphe 5, et de l’article 33 du protocole sur le SEBC et la BCE, dont il ressort, en substance, que de telles pertes sont couvertes par le fonds de réserve général de la BCE et, si nécessaire, après décision du conseil des gouverneurs, par les revenus monétaires de l’exercice financier concerné, au prorata et jusqu’à concurrence des montants alloués aux banques centrales nationales, conformément à la règle de répartition proportionnelle à leurs parts respectives libérées dans le capital de la BCE.

(…)

Sur l’article 123, paragraphe 1, TFUE

(…) 

102 Il ressort du libellé de l’article 123, paragraphe 1, TFUE que cette disposition interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux autorités et aux organismes publics de l’Union et des États membres ainsi que d’acquérir directement, auprès d’eux, des instruments de leur dette.

103 Il s’ensuit que ladite disposition interdit toute assistance financière du SEBC à un État membre, sans pour autant exclure, de manière générale, la faculté, pour le SEBC, de racheter aux créanciers d’un tel État des titres préalablement émis par ce dernier (…).

104 S’agissant de la décision 2015/774, il convient de relever que le SEBC est autorisé, dans le cadre du PSPP, à acquérir des obligations non pas directement, auprès des autorités et des organismes publics des États membres, mais seulement indirectement, sur les marchés secondaires. L’intervention du SEBC prévue par ce programme ne peut donc être assimilée à une mesure d’assistance financière à un État membre.

105 Cependant, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, l’article 123, paragraphe 1, TFUE impose deux limites supplémentaires au SEBC lorsqu’il adopte un programme d’acquisition d’obligations émises par les autorités et les organismes publics de l’Union et des États membres.

106 D’une part, le SEBC ne saurait valablement acquérir des obligations sur les marchés secondaires dans des conditions qui donneraient, en pratique, à son intervention un effet équivalent à celui de l’acquisition directe d’obligations auprès des autorités et des organismes publics des États membres (…).

107 D’autre part, le SEBC doit entourer son intervention de garanties suffisantes pour concilier celle-ci avec l’interdiction du financement monétaire découlant de l’article 123 TFUE, en s’assurant que ce programme ne soit pas de nature à soustraire les États membres concernés à l’incitation à conduire une politique budgétaire saine que cette disposition vise à instaurer (…).

108 Les garanties que le SEBC doit prévoir pour que soient respectées ces deux limites dépendent à la fois des caractéristiques propres du programme considéré et du contexte économique dans lequel s’inscrit l’adoption et la mise en œuvre de ce programme. Le caractère suffisant de ces garanties doit par la suite être, le cas échéant, vérifié par la Cour lorsque celui-ci est contesté.

Sur l’équivalence alléguée entre l’intervention du PSPP et l’acquisition d’obligations sur les marchés primaires

109 La juridiction de renvoi envisage que les modalités du PSPP puissent générer, pour les opérateurs privés, une certitude factuelle quant aux rachats futurs sur les marchés secondaires, par le SEBC, des obligations qu’ils pourraient acquérir auprès des États membres.

110 À cet égard, il importe de rappeler que l’intervention du SEBC serait incompatible avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE si les opérateurs susceptibles d’acquérir des obligations souveraines sur les marchés primaires avaient la certitude que le SEBC va procéder au rachat de ces obligations dans un délai et dans des conditions permettant à ces opérateurs d’agir, de facto, comme des intermédiaires du SEBC pour l’acquisition directe desdites obligations auprès des autorités et des organismes publics de l’État membre concerné (…).

111 En l’occurrence, la prévisibilité de l’intervention du SEBC dans le cadre du PSPP est certes accentuée, à dessein, par la publication anticipée d’une série de caractéristiques de ce programme, qui, ainsi que l’ont souligné la Commission et la BCE, est destinée à contribuer à son efficacité et à sa proportionnalité, en limitant le volume des obligations devant être effectivement acquises pour réaliser l’objectif visé.

112 En particulier, l’annonce, tant dans les décisions du SEBC que dans les communications destinées au public, des montants mensuels d’acquisition d’actifs projetés au titre de l’APP, de la durée prévisible de ce programme, des modalités de répartition de ces montants entre les différentes banques centrales des États membres ou encore des critères d’éligibilité conditionnant l’acquisition d’une obligation, est de nature à permettre aux opérateurs privés d’anticiper, dans une certaine mesure, des aspects importants des futures interventions du SEBC sur les marchés secondaires.

113 Pour autant, le SEBC a mis en place différentes garanties en vue d’éviter qu’un opérateur privé puisse se comporter comme un intermédiaire du SEBC.

114 Ainsi, le respect, contrôlé par la BCE en application de l’article 9 des lignes directrices, de la période de fenêtre négative prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2015/774 assure que les obligations émises par un État membre ne pourront pas être rachetées par le SEBC immédiatement après leur émission.

115 Si cette disposition ne précise pas la durée exacte de cette période, laquelle est fixée à l’article 15 des lignes directrices, la BCE a indiqué, dans ses observations écrites, que ladite durée était mesurée en jours plutôt qu’en semaines. Une telle durée n’est cependant pas de nature à engendrer une certitude, pour les opérateurs susceptibles d’acquérir des obligations souveraines sur les marchés primaires, que le SEBC va procéder à très brève échéance au rachat de ces obligations souveraines.

116 En effet, l’absence de publication, a priori comme a posteriori, d’informations relatives à la durée de cette période et le fait qu’il s’agit uniquement d’un délai minimal au terme duquel l’acquisition d’une obligation est autorisée sont susceptibles d’éviter qu’un opérateur privé puisse, de fait, se comporter comme un intermédiaire du SEBC, dès lors qu’ils limitent la prévisibilité, sur le plan temporel, des interventions du SEBC sur les marchés secondaires. La circonstance qu’un rachat peut ainsi intervenir plusieurs mois ou plusieurs années après l’émission d’une obligation accroît d’autant plus les incertitudes des opérateurs privés que le SEBC a la faculté de diminuer le montant mensuel d’acquisition d’obligations au titre de l’APP, faculté dont il a d’ailleurs déjà fait usage à plusieurs reprises.

117 En outre, le SEBC a établi un certain nombre de garanties permettant spécifiquement d’empêcher les opérateurs privés de prévoir avec certitude si des obligations données seront effectivement rachetées, sur les marchés secondaires, dans le cadre du PSPP.

118 Tout d’abord, si le SEBC communique le montant total des achats prévus au titre de l’APP, il n’en va pas de même pour le volume des obligations émises par des autorités et des organismes publics d’un État membre, qui seront normalement rachetées au cours d’un mois donné dans le cadre du PSPP. En outre, le SEBC a établi des règles visant à éviter que ce volume puisse être déterminé par avance avec précision.

119 À cet égard, d’une part, il découle des règles énoncées à l’article 2, paragraphe 2, des lignes directrices, selon lesquelles le montant y figurant vaut pour l’ensemble de l’APP et les acquisitions au titre du PSPP ne doivent être réalisées qu’à titre de reliquat, que le montant de ces acquisitions devant être réalisées peut varier chaque mois en fonction du volume des obligations émises par des opérateurs privés disponibles sur les marchés secondaires. Cette disposition autorise également le conseil des gouverneurs à s’écarter, de manière exceptionnelle, du montant mensuel prévu, lorsque des conditions spécifiques de marché l’imposent.

120 D’autre part, si l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2015/774 prévoit que les achats sont répartis entre les banques centrales des États membres selon la clé de répartition pour la souscription du capital de la BCE, il ne peut pas en être déduit avec certitude que le montant ainsi affecté à une banque centrale d’un État membre sera consacré, dans la mesure prévue à l’article 6, paragraphe 1, de cette décision, à l’acquisition d’obligations provenant des autorités et des organismes publics de cet État membre. En effet, la répartition des titres achetés dans le cadre du PSPP, prévue à cette dernière disposition, fait, selon la deuxième phrase de celle-ci, l’objet d’une révision par le conseil des gouverneurs. En outre, ladite décision comprend divers mécanismes introduisant une certaine flexibilité dans la réalisation des acquisitions au titre du PSPP, notamment en permettant, à son article 3, paragraphes 3 et 4, la réalisation d’achats de remplacement et, à son article 6, paragraphe 3, l’autorisation, par le conseil des gouverneurs, d’écarts ponctuels par rapport au dispositif de spécialisation pour la répartition des titres achetés dans le cadre du PSPP. L’article 2, paragraphe 3, des lignes directrices autorise les banques centrales de l’Eurosystème à s’écarter des recommandations mensuelles d’achat pour réagir de manière appropriée aux conditions du marché.

121 Ensuite, il ressort de l’article 3, paragraphes 1, 3 et 5, de la décision 2015/774 que le SEBC a autorisé l’acquisition d’obligations diversifiées au titre du PSPP, limitant par là même les possibilités de déterminer par avance la nature des acquisitions qui seront réalisées en vue d’atteindre les objectifs mensuels d’achat de ce programme.

122 Ainsi, peuvent être acquises dans ce cadre non seulement des obligations émises par des administrations centrales, mais également des obligations émises par des administrations régionales ou locales. De même, l’échéance de ces obligations peut s’étendre de 1 an à 30 ans et 364 jours, et leur rendement peut, le cas échéant, être négatif, voire inférieur au taux d’intérêt de la facilité de dépôt.

123 Il importe d’ailleurs de relever que les décisions 2015/2464 et 2017/100 ont justement modifié, sur ces points, le dispositif prévu initialement en vue d’étendre les possibilités d’acquisition d’actifs. Ces décisions ont ainsi limité davantage, au vu des évolutions des conditions du marché, la prévisibilité des acquisitions, par le SEBC, d’obligations émises par des États membres.

124 Enfin, l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision 2015/774 prévoit que les banques centrales de l’Eurosystème ne peuvent détenir plus de 33 % d’une émission donnée d’obligations des administrations centrales d’un État membre ou de 33 % des encours de titres d’une de ces administrations.

125 Il découle de ces limites de détention, dont l’application est contrôlée quotidiennement par la BCE, conformément à l’article 4, paragraphe 3, des lignes directrices, que le SEBC n’est autorisé ni à acheter l’ensemble des obligations émises par un tel émetteur ni même l’ensemble d’une émission donnée de ces obligations. Ainsi que l’ont relevé les gouvernements qui sont intervenus à la présente procédure et la BCE, il s’ensuit que, lors de l’acquisition d’obligations auprès d’une administration centrale d’un État membre, un opérateur privé s’expose nécessairement au risque de ne pas pouvoir revendre celles-ci au SEBC sur les marchés secondaires, une acquisition de l’ensemble des obligations émises étant dans tous les cas exclue.

126 L’incertitude créée à ce sujet par lesdites limites de détention est renforcée par les restrictions, imposées par l’article 8 de la décision 2015/774, à la publication d’informations sur les obligations détenues par le SEBC, dont il résulte que seules des informations agrégées sont publiées, à l’exclusion de toute indication quant à la part des obligations issues d’une émission donnée actuellement détenue par le SEBC.

127 Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que, à supposer que le SEBC soit confronté à la forte raréfaction des obligations émises par certains États membres évoquée par la juridiction de renvoi, ce qui a été fermement contesté par la BCE, les garanties entourant le PSPP assurent qu’un opérateur privé ne peut être certain, lors de l’acquisition d’obligations émises par un État membre, que celles-ci seront effectivement rachetées par le SEBC dans un futur prévisible.

128 Partant, il y a lieu de constater, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions, que la circonstance que les modalités du PSPP permettent d’anticiper, au niveau macroéconomique, l’acquisition d’un volume notable d’obligations émises par les autorités et les organismes publics des États membres n’est pas susceptible de créer, au niveau d’un opérateur privé donné, des certitudes lui permettant d’agir, de facto, comme un intermédiaire du SEBC pour l’acquisition directe d’obligations auprès d’un État membre.

Sur la soustraction alléguée à l’incitation à conduire une politique budgétaire saine

129 La juridiction de renvoi demande si la décision 2015/774 est compatible avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE en tant que les certitudes que créerait cette décision quant à l’intervention du SEBC seraient de nature à fausser les conditions du marché en diminuant l’incitation, pour les États membres, à conduire une politique budgétaire saine.

130 Il importe de rappeler que la circonstance que la mise en œuvre d’un programme d’opérations d’open market facilite, dans une certaine mesure, le financement des États membres concernés ne saurait être déterminante, dès lors que la conduite de la politique monétaire implique en permanence d’agir sur les taux d’intérêt et les conditions de refinancement des banques, ce qui a nécessairement des conséquences sur les conditions du financement du déficit public des États membres (…).

131 Partant, si la circonstance qu’un tel programme peut conduire à anticiper le fait que, dans les prochains mois, une partie non négligeable des obligations émises par un État membre devrait probablement être rachetée par le SEBC est certes susceptible de faciliter le financement de cet État membre, elle n’implique pas, à elle seule, l’incompatibilité de ce programme avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

132 En revanche, en vue d’éviter que les États membres soient soustraits à l’incitation à conduire une politique budgétaire saine, l’adoption et la mise en œuvre d’un tel programme ne sauraient valablement générer des certitudes, quant au rachat futur des obligations émises par les États membres, en conséquence desquelles ces derniers pourraient adopter une politique budgétaire qui ne tiendrait pas compte du fait qu’ils seront conduits, en cas de déficit, à chercher des financements sur les marchés ou seraient protégés contre les conséquences que peut avoir, à cet égard, l’évolution de leur situation macroéconomique ou budgétaire (…).

133 Dans ce contexte, il y a lieu de constater, en premier lieu, qu’il ressort du considérant 7 de la décision 2015/774 que la mise en œuvre du PSPP n’est prévue que jusqu’à ce que le conseil des gouverneurs perçoive un ajustement durable de la trajectoire suivie par l’inflation qui soit compatible avec son objectif d’obtention, à moyen terme, de taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 %. Si la durée concrète d’application prévisible du PSPP a été toutefois prolongée à plusieurs reprises, cette prolongation a toujours été décidée sans remise en cause de ce principe, comme le confirment le considérant 3 de la décision 2015/2464 et le considérant 5 de la décision 2017/100.

134 Il s’ensuit que le SEBC n’a, dans ses décisions successives, prévu l’acquisition d’obligations souveraines que dans la mesure nécessaire au maintien de la stabilité des prix, qu’il a régulièrement révisé le volume du PSPP et qu’il a maintenu de manière constante le caractère temporaire de ce programme.

135 Ce caractère temporaire est d’ailleurs renforcé par la faculté conservée par le SEBC, en vertu de l’article 12, paragraphe 2, des lignes directrices, de revendre les obligations acquises à tout moment, ce qui lui permet d’adapter son programme en fonction de l’attitude des États membres concernés et empêche les opérateurs impliqués d’avoir la certitude que le SEBC ne fera pas usage de cette faculté (…).

136 Partant, la décision 2015/774 n’est pas de nature à permettre aux États membres de déterminer leur politique budgétaire sans tenir compte du fait que, à moyen terme, la continuité de la mise en œuvre du PSPP n’est aucunement assurée et qu’ils seront donc conduits, en cas de déficit, à chercher des financements sur les marchés sans pouvoir bénéficier de l’assouplissement des conditions de financement que peut impliquer la mise en œuvre du PSPP (…).

137 En second lieu, il importe de relever que la décision 2015/774 et les lignes directrices comprennent une série de garanties destinées à limiter les effets du PSPP sur l’incitation à conduire une politique budgétaire saine.

138 Tout d’abord, l’ampleur de l’effet du PSPP sur les conditions de financement des États membres de la zone euro est limitée par les mesures restreignant le volume des obligations d’un État membre susceptibles d’être acquises au titre du PSPP (…).

139 À cet égard, il résulte des considérations figurant au point 88 du présent arrêt que le volume total de ces obligations est limité, de jure, tant par la fixation d’un montant mensuel d’acquisitions au titre de l’APP que par le caractère subsidiaire du PSPP au sein de l’APP, qui résultent de l’article 2, paragraphe 2, des lignes directrices.

140 En outre, ainsi que l’a fait valoir la BCE, la répartition, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2015/774, de ces acquisitions entre les banques centrales nationales selon la clé de répartition pour la souscription du capital de la BCE, énoncée à l’article 29 du protocole sur le SEBC et la BCE, et non pas en fonction d’autres critères, tels que, notamment, le poids des dettes respectives de chaque État membre, combinée à la règle énoncée à l’article 6, paragraphe 3, de cette décision, selon laquelle chaque banque centrale nationale achète des titres provenant d’émetteurs publics de son propre État membre, implique que l’augmentation sensible du déficit d’un État membre, qu’entraînerait la renonciation éventuelle à une politique budgétaire saine, diminuerait la part des obligations de cet État membre acquises par le SEBC. La mise en œuvre du PSPP n’est donc pas de nature à permettre à un État membre d’échapper aux conséquences, en matière de financement, de l’altération de sa trajectoire budgétaire.

141 Par ailleurs, les limites de détention par émission et par émetteur énoncées à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de cette décision impliquent, dans tous les cas, que seule une minorité des obligations émises par un État membre peuvent être acquises par le SEBC dans le cadre du PSPP, ce qui impose à cet État membre de recourir principalement aux marchés pour financer son déficit budgétaire.

142 Ensuite, l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2015/774 prévoit des critères élevés d’éligibilité fondés sur une évaluation de la qualité du crédit, à laquelle il n’est possible de déroger que si l’État membre concerné fait l’objet d’un programme d’assistance financière. L’article 13, paragraphe 1, des lignes directrices prévoit de surcroît que, en cas de dégradation de la notation des obligations d’un État membre ou de résultat négatif d’un examen d’un tel programme, le conseil des gouverneurs devra décider s’il y a lieu de revendre les obligations de l’État membre concerné déjà acquises.

143 Il s’ensuit que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 87 de ses conclusions, un État membre ne peut se reposer sur les facilités de financement que peut occasionner la mise en œuvre du PSPP pour renoncer à conduire une politique budgétaire saine, sans risquer, en définitive, de voir les obligations qu’il émet être exclues de ce programme en raison de la dégradation de leur notation, ou de s’exposer à une revente par le SEBC des obligations émises par cet État membre, qu’il avait précédemment acquises.

(…)

Sur la détention d’obligations jusqu’à leur échéance et sur l’acquisition d’obligations avec un rendement à échéance négatif

(…)

146 En ce qui concerne, en premier lieu, l’éventuelle conservation, par le SEBC, des obligations acquises dans le cadre du PSPP jusqu’à leur échéance, il convient de rappeler qu’une telle pratique n’est nullement exclue par l’article 18, paragraphe 1, du protocole sur le SEBC et la BCE et qu’elle n’implique aucune renonciation au paiement, par l’État membre émetteur, de sa dette une fois le terme de l’obligation échue (…).

147 Le SEBC est donc habilité à évaluer, en fonction des objectifs et des caractéristiques d’un programme d’opérations d’open market, s’il convient de prévoir la conservation des obligations acquises dans le cadre de ce programme, sans que la revente de celles-ci doive être considérée comme le principe et leur conservation comme une dérogation à ce principe.

148 En l’occurrence, si la décision 2015/774 n’apporte pas de précisions sur l’éventuelle revente des obligations acquises dans le cadre du PSPP, il ressort clairement de l’article 12, paragraphe 2, des lignes directrices que le SEBC conserve la faculté de revendre, à tout moment et sans condition spécifique, ces obligations.

149 En outre, l’absence d’obligation de procéder à la revente des obligations acquises ne saurait suffire à établir une violation de l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

150 En effet, d’une part, la simple faculté de procéder, le cas échéant, à la revente de tout ou partie des obligations acquises contribue à préserver l’incitation à conduire une politique budgétaire saine, dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 135 du présent arrêt, cette faculté permet au SEBC d’adapter son programme en fonction de l’attitude des États membres concernés.

151 D’autre part, l’éventuelle conservation de ces obligations par le SEBC n’est pas de nature, à elle seule, à soustraire les États membres concernés à cette incitation, dans la mesure, notamment, où, ainsi que l’a souligné la BCE, elle ne s’accompagne d’aucune obligation pour le SEBC d’acquérir de nouvelles obligations qui devraient inévitablement être émises par un État membre qui renoncerait à conduire une politique budgétaire saine.

152 S’il est vrai qu’une telle conservation est néanmoins de nature à exercer une certaine influence sur le fonctionnement des marchés primaires et secondaires de la dette souveraine, il convient de rappeler qu’il s’agit là d’un effet inhérent aux acquisitions sur les marchés secondaires autorisées par le droit primaire, cet effet étant, au demeurant, indispensable pour permettre l’utilisation efficace de ces acquisitions dans le cadre de la politique monétaire […], et, par ce moyen, pour contribuer à l’objectif de maintien de la stabilité des prix rappelé au point 51 du présent arrêt.

153 S’agissant, en second lieu, de l’acquisition d’obligations souveraines avec un rendement à échéance négatif, il convient, tout d’abord, de souligner que l’article 18, paragraphe 1, du protocole sur le SEBC et la BCE permet la réalisation d’opérations d’open market sans prévoir que ces opérations devraient viser des obligations avec un rendement minimal.

154 L’article 123, paragraphe 1, TFUE ne saurait, ensuite, être interprété comme faisant obstacle à l’acquisition par le SEBC de telles obligations dans le cadre du PSPP.

155 En effet, bien que l’émission d’obligations avec un rendement à échéance négatif soit avantageuse sur le plan financier pour les États membres concernés, il y a lieu de constater que ces obligations ne peuvent être acquises, dans le cadre du PSPP, que sur les marchés secondaires et que, partant, elles ne donnent pas lieu à l’octroi d’un découvert ou d’un autre type de crédit aux autorités et aux organismes publics des États membres, ou à l’acquisition directe, auprès de ceux-ci, des instruments de leur dette.

156 En ce qui concerne la question de savoir si l’acquisition, par le SEBC, d’obligations souveraines avec un rendement à échéance négatif a un effet équivalent à celui de l’acquisition directe d’obligations auprès des autorités et des organismes publics des États membres, il convient de souligner que, dans le contexte économique dans lequel la décision 2015/774 a été adoptée, autoriser l’acquisition d’obligations avec un rendement à échéance négatif n’est pas de nature à faciliter l’identification, par les opérateurs privés, des obligations que le SEBC devra acheter, mais est, au contraire, susceptible de limiter les certitudes de ces opérateurs sur ce point, en élargissant le champ des obligations éligibles à une acquisition dans le cadre du PSPP. L’assouplissement des critères de rendement opéré par la décision 2017/100 est d’ailleurs de nature à renforcer davantage les garanties adoptées par le SEBC à cet égard.

157 En outre, ainsi que la BCE l’a relevé, les obligations avec un rendement négatif ne pouvant être émises que par des États membres dont la situation financière fait l’objet d’une appréciation positive par les opérateurs des marchés de la dette souveraine, l’acquisition de telles obligations ne saurait être considérée comme soustrayant les États membres à l’incitation à conduire une politique budgétaire saine.

(…)

Sur la cinquième question

(…)

162 À cet égard, il convient de relever que le droit primaire ne comprend pas de règles prévoyant le partage, entre les banques centrales des États membres, des pertes subies par l’une de ces banques centrales lors de la réalisation d’opérations d’open market.

163 Par ailleurs, il est constant que la BCE a décidé de ne pas adopter une décision impliquant un partage de l’intégralité des pertes réalisées par les banques centrales des États membres lors de la mise en œuvre du PSPP. Ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, la BCE n’a, à ce jour, prévu, s’agissant de telles pertes, que le partage de celles qui trouveraient leur origine dans des titres émis par des émetteurs internationaux.

164 Il s’ensuit, d’une part, que le volume potentiel de ces pertes est encadré par la règle, énoncée à l’article 6, paragraphe 1, de la décision 2015/774, limitant la part de ces titres à 10 % de la valeur comptable des achats au titre du PSPP et, d’autre part, que les pertes susceptibles d’être, le cas échéant, partagées entre les banques centrales des États membres ne peuvent être la conséquence directe du défaut d’un État membre envisagé par la juridiction de renvoi.

165 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, si les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence, la Cour doit refuser de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (…). 

166 Partant, la Cour ne saurait, sans outrepasser sa fonction, répondre à la cinquième question en formulant une opinion consultative sur un problème qui est, à ce stade, hypothétique (…).

82

3. Les 30 et 31 juillet 2019, la chambre a tenu une audience publique dans le cadre de laquelle les parties intéressées ont détaillé et précisé leurs arguments. Ont été entendus comme tiers experts au sens du § 27a de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale (LCCF) M. Jens Ulbrich, directeur de l’unité centrale Économie de la Bundesbank allemande, M. Dr. Andreas Guericke, directeur de l’unité centrale Affaires juridiques de la Bundesbank allemande, M. Prof. Dr. Volker Wieland de l’Université Johann Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le-Main, M. Prof. Dr. Dr. h.c. Lars Feld, directeur de l’Institut Walter Eucken à Fribourg-en-Brisgau, M. Dr. Klaus Wiener, membre de la direction générale de l’Association allemande des assurances, M. Volker Hofmann, directeur de l’unité Économie de l’Association des banques allemandes, M. Dr. Tammo Diemer, gérant de l’Agence financière Bundesrepublik Deutschland Finanzagentur GmbH, M. Dr. Ulrich Kater, économiste en chef à la banque DekaBank – Deutsche Girozentrale, M. Dr. Johannes Mayr, directeur de l’unité Recherche en investissements de la Bayerische Landesbank, ainsi que M. Bernd Volk, directeur de l’unité Recherche portant sur les obligations sécurisées de la Deutsche Bank – section zurichoise.

83

La Banque centrale européenne a choisi de ne pas prendre part à cette audience publique.

84

4. Étant donné, d’une part, qu’il est interdit de préjuger l’affaire au principal, et compte tenu, d’autre part, de l’absence d’intérêt légitime pour exiger que le gouvernement fédéral soit obligé de former un recours devant la Cour de justice, la chambre, après avoir rendu la décision posant des questions préjudicielles à la Cour de justice, a rejeté les demandes d’ordonnance provisoire formulées par les requérants respectivement le 27 septembre 2017 (requérants sous I.), le 6 octobre 2017 (requérants sous II.), le 26 septembre 2017 (requérant sous III.) et le 24 mai 2017, ainsi que la demande du 22 octobre 2019 (requérants sous IV.) et dirigées contre la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 12 septembre 2019 de reprise du PSPP à partir du 1er novembre 2019 (cf. Recueil BVerfGE 147, 39 <46 sqq.> ; Cour constitutionnelle fédérale, décision du 30 octobre 2019 – 2 BvR 980/16 – point 8 sqq.).

B.

85

Les recours constitutionnels des requérants sous I., II. et III. sont recevables dans la mesure où ils sont dirigés – à quelques nuances près – contre l’inaction du gouvernement fédéral et du Bundestag, lesquels ont omis de prendre des mesures contre le PSPP (I.). Pour le reste, les recours constitutionnels sont irrecevables (II.).

I.

86

Ne fait pas obstacle à la recevabilité des recours constitutionnels contre l’omission du gouvernement fédéral et du Bundestag d’agir en ce qui concerne le PSPP le fait que les requérants sous I. et sous III. n’ont soulevé cet objet du recours qu’en cours d’instance et en modifiant partiellement, voire en retirant, leurs requêtes initiales (1.). L’omission du gouvernement fédéral et du Bundestag constitue un objet valable d’un recours constitutionnel (2.). Dans la mesure où les requérants sous, I., II. et III. avancent de manière suffisamment motivée qu’avec le PSPP, l’Eurosystème aurait procédé à un excès de compétence manifeste et structurellement significatif violant l’article 123, paragraphe 1, TFUE, ils ont un droit d’agir. Il en va de même en ce qui concerne le grief selon lequel le danger d’une modification de la répartition des risques porterait atteinte au domaine protégé de la responsabilité d’ensemble du Bundestag allemand en matière de politique budgétaire (3.). Les requérants sous I. et sous III. ont également un intérêt légitime pour agir subsistant (4.).

87

1. Au cours de l’instance, les requérants sous I., II. et III. ont modifié de manière recevable les requêtes initialement introduites dans le cadre de leurs recours constitutionnels. […]

88

Les modifications des requêtes ont été suscitées par le jugement rendu par la chambre le 21 juin 2016 alors que les recours constitutionnels étaient déjà pendants et dans lequel la Cour a précisé que les actes des institutions, des organes ou des organismes de l’Union européenne ne peuvent pas être contestés directement au moyen d’un recours devant la Cour constitutionnelle fédérale (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <180, point 98 sqq.). En limitant leurs requêtes au PSPP, les requérants sous I., II. et III. ont réagi à la décision de la chambre du 18 juillet 2017 de poser une question préjudicielle sur le fondement de l’article 267 TFUE (Recueil BVerfGE 146, 216), décision qui portait uniquement sur ce sous-programme.

89

2. Avec l’inaction du gouvernement fédéral et du Bundestag en ce qui concerne le PSPP, les requérants sous I., II. et III. désignent un objet valable pour un recours constitutionnel. Les actes des institutions, des organes ou des organismes de l’Union européenne peuvent faire l’objet – en tant que question préalable – de l’examen opéré par la Cour constitutionnelle fédérale s’ils affectent les titulaires de droits fondamentaux en Allemagne (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <180, point 98>). Tel est le cas lorsque de tels actes soit servent de fondement à l’action des organes de l’État allemand (cf. Recueil BVerfGE 126, 286 <301 sqq.> ; 134, 366 <382, point 23> ; 142, 123 <180, point 99 ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 101), soit déclenchent des obligations d’agir ou de s’abstenir d’agir qui découlent de la responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <394 sqq., point 44 sqq.> ; 135, 317 <393 et 394, point 146> ; 142, 123 <180, point 99> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 101). Des actes de droit dérivé, ainsi que des actes délégués et des actes de mise en œuvre du droit de l’Union européenne sont dès lors susceptibles de faire l’objet d’un recours constitutionnel dans la mesure où un tel recours est dirigé contre une violation de la responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne des organes constitutionnels allemands soit lors de la mise en œuvre de ces actes, soit par le fait que les organes constitutionnels allemands ont omis d’agir pour que le programme d’intégration soit (de nouveau) respecté (cf. Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, points 102 et 103). La Cour constitutionnelle fédérale examine alors la question de savoir si de telles mesures sont couvertes par le programme d’intégration ou si au contraire elles portent atteinte aux limites que la Loi fondamentale trace pour l’appartenance de l’Allemagne à l’Union européenne (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <354> ; 126, 286 <298 sqq.> ; 134, 366 <394, point 44 sqq.> ; 140, 317 <334 sqq., point 36 sqq.> ; 142, 123 <180, points 99 et 100> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 101).

90

3. Les requérants sous I., II. et III. ont également le droit d’agir. […]

91

4. L’intérêt légitime pour agir des requérants sous I., II. et III. ne s’est pas éteint du fait que l’inaction du gouvernement fédéral et du Bundestag qu’ils contestent se rapporte à des décisions de la BCE qui ont déjà été en partie mises en œuvre. D’une part, la réalisation du programme jusqu’à la fin de l’année 2018 continue à produire des effets, étant donné que les décisions du conseil des gouverneurs de la BCE prévoient la poursuite, pour une période prolongée et jusqu’à une date ultérieure, des réinvestissements des remboursements des titres arrivant à échéance. D’autre part, le programme d’achats de titres a été repris en novembre 2019.

II.

92

Pour le reste, les recours constitutionnels sont irrecevables. D’une part, ils sont en partie dirigés contre des actes qui ne sont pas susceptibles d’être contestés au moyen d’un recours constitutionnel (1.), d’autre part, ils ne sont en partie pas suffisamment motivés (2.).

93

1. Les recours constitutionnels des requérants sous I. sont irrecevables dans la mesure où ils visent à faire constater que l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018 n’est pas applicable sous l’empire de la Loi fondamentale. À cet égard, les recours constitutionnels sont dès lors dirigés directement contre un acte juridique émanant d’une institution de l’Union européenne, alors qu’un tel acte ne saurait valablement faire l’objet d’un recours constitutionnel. La jurisprudence constante de la chambre a précisé que les mesures des institutions, des organes ou des organismes de l’Union européenne ne constituent pas des actes de la puissance publique au sens de l’article 93, alinéa 1, no 4a, LF et du § 90, alinéa 1, LCCF et qu’ils ne peuvent dès lors pas servir d’objet direct pour un recours constitutionnel (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <179 et 180, point 97> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 112).

94

Tel est également le cas des recours constitutionnels des requérants sous II. et sous IV., dans la mesure où ces recours sont dirigés directement contre les décisions du conseil des gouverneurs de la BCE relatives au PSPP et contre l’application et la mise en œuvre de ces décisions en droit interne.

95

Les recours constitutionnels des requérants sous II. et sous IV. sont en outre irrecevables pour autant qu’ils contestent une omission de la part de la Bundesbank. Bien qu’il soit interdit à la Bundesbank allemande d’apporter son concours à des mesures des institutions, des organes ou des organismes de l’Union européenne constituant des actes ultra vires ou portant atteinte à l’identité constitutionnelle de l’Allemagne telle qu’elle est protégée par l’article 79, alinéa 3, LF et que la Bundesbank soit tenue – comme tout organisme public allemand –, lorsqu’elle dispose d’indices en ce sens, de vérifier de son propre chef si une mesure de l’Union constitue un tel acte, elle est toutefois, en tant qu’établissement public relevant directement de la Fédération (§ 2 de la loi relative à la Bundesbank), une autorité publique d’administration autonome et ne fait donc pas partie des organes constitutionnels qui, selon la jurisprudence constante de la chambre, sont les seuls à devoir assumer une responsabilité particulière dans le cadre du processus d’intégration européenne (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <352 sqq., 389 sqq., 413 sqq.> ; 126, 286 <306 et 307> ; 129, 124 <181> ; 132, 195, 238 et 239, point 105 ; 241, point 110 ; 270, point 178> ; 134, 366 <394 et 395, point 47 ; 135, 317 <392 et 393, point 141 ; 399, point 160 ; 402, point 165 ; 424 et 425, point 224> ; 142, 123 <174 et 175, point 83 ; 184, point 111 ; 191 et 192, point 130 ; 207 sqq., point 163 sqq.> ; 146, 216 <250, point 47>).

96

2. En dernier lieu, les recours constitutionnels des requérants sous IV. ne satisfont pas, dans la mesure où ils sont dirigés contre l’inaction du gouvernement fédéral et du Bundestag et donc indirectement contre le PSPP, aux exigences de motivation prévues par le § 23, alinéa 1, 2nde phrase, et le § 92 LCCF. […]

C.

97

Les recours constitutionnels des requérants sous I., II. et III. sont fondés dans la mesure où ils sont dirigés contre l’omission du gouvernement fédéral et du Bundestag de prendre des mesures adaptées pour s’opposer à ce que la BCE, avec le PSPP et les achats d’actifs sur le fondement du PSPP, outrepasse sa compétence en matière de politique monétaire et empiète sur la compétence des États membres en matière de politique économique. Au surplus, les recours constitutionnels, pour autant qu’ils sont recevables, sont infondés.

I.

98

Le droit du citoyen d’élire le Bundestag allemand (art. 38, alinéa 1, 1re phrase, LF) ne se limite pas à formellement légitimer la puissance étatique au niveau fédéral (1.). Le droit des citoyens à l’autodétermination démocratique s’impose également dans le domaine de l’intégration européenne (2.) et, sous l’empire de l’article 23, alinéa 1, LF, ce droit protège les citoyens contre des excès de compétence manifestes et structurellement significatifs de la part des institutions, des organes ou des organismes de l’Union européenne (3.) ainsi que contre une atteinte aux principes consacrés par les articles 1 et 20 LF et déclarés inviolables par l’article 79, alinéa 3, LF (4.).

99

1. Selon la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale, le droit du citoyen d’élire le Bundestag allemand (art. 38, alinéa 1, 1re phrase, LF) ne se limite pas à formellement légitimer la puissance étatique au niveau fédéral, mais englobe également le contenu démocratique fondamental de ce droit (cf. Recueil BVerfGE 89, 155 <171> ; 97, 350 <368> ; 123, 267 <330> ; 129, 124 <168> ; 134, 366 <396, point 51> ; 142, 123 < 189, point 123> ; 146, 216 < 249, point 45> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 115 ; cf. également Recueil BVerfGE 135, 317 <386, point 125). Font notamment partie de ce contenu démocratique fondamental le principe de la souveraineté populaire consacré à l’article 20, alinéa 2, 1re phrase, LF, ainsi que le droit qui en découle pour les citoyens de n’être soumis qu’à une puissance publique qu’ils sont en mesure de légitimer et d’influencer (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <189, point 123> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 115). Toute puissance publique exercée en Allemagne doit pouvoir être rattachée aux choix des citoyens (cf. Recueil BVerfGE 83, 37 <50 et 51> ; 93, 37 <66> ; 130, 76 <123> ; 137, 185 <232, point 131> ; 139, 194 <224, point 106> ; 142, 123 < 191, point 128> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 117). Cette exigence exclut que les citoyens soient assujettis à un pouvoir politique auquel ils ne pourraient échapper et qu’ils ne pourraient pas en principe déterminer de manière égale et en toute liberté, tant sur le plan des personnes exerçant ce pouvoir que sur celui de son contenu (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <341> ; 142, 123 <191, point 128 ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 117).

100

En revanche, l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF ne garantit pas que la Cour constitutionnelle fédérale exerce un contrôle des décisions prises par la majorité démocratique allant au-delà de la protection du droit à l’autodétermination démocratique protégé par l’article 20, alinéas 1 et 2, LF combiné à l’article 79, alinéa 3, LF et à l’article 1, alinéa 1, LF. Le droit de vote n’a pas pour but un contrôle matériel du processus démocratique, mais de rendre possible un tel processus (cf. Recueil BVerfGE 129, 124 <168> ; 134, 366 <396 et 397, point 52 ; 142, 123 <190, point 126) ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 118).

101

2. Conformément à l’article 23, alinéa 1, 1re et 3e phrases, LF, le droit à l’autodétermination démocratique consacré par l’article 38, alinéa 1, 1rephrase, LF, combiné à l’article 20, alinéas 1 et 2, LF et à l’article 79, alinéa 3, LF, s’applique sur le plan du principe également dans le domaine de l’intégration européenne. Le principe selon lequel le peuple confère à la puissance publique exercée en Allemagne sa légitimité démocratique fait partie du contenu élémentaire du principe de la souveraineté populaire et dès lors de l’identité constitutionnelle de l’Allemagne protégée par l’article 79, alinéa 3, LF et soustraite à l’intégration en vertu de l’article 23, alinéa 1, 3e phrase, LF, combiné à l’article 79, alinéa 3, LF (cf. Recueil BVerfGE 89, 155 <182> ; 123, 267 <330> ; 129, 124 <169> ; 142, 123 <191, point 127> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 119). Par conséquent, la Loi fondamentale n’habilite pas les organes de l’État allemand à transférer à l’Union européenne des droits de souveraineté d’une manière telle que l’exercice de ces derniers permettrait de fonder de manière autonome des compétences supplémentaires de l’Union européenne (a). Les modalités et l’étendue du transfert de droits de souveraineté doivent répondre à des principes démocratiques. Le pouvoir d’action substantiel du Bundestag – en particulier le pouvoir budgétaire de ce dernier – ne saurait disparaître (b).

102

a) La Loi fondamentale n’habilite pas les organes de l’État allemand à transférer des droits de souveraineté d’une manière telle que l’exercice de ces derniers permettrait de fonder de manière autonome des compétences supplémentaires de l’Union européenne. La Loi fondamentale interdit l’attribution de la compétence de la compétence (cf. Recueil BVerfGE 89, 155 <187 et 188, 192, 199> ; 123, 267 <349> ; cf. également Recueil BVerfGE 58, 1 <37> ; 104, 151 <210> ; 132, 195 <238, point 105> ; 142, 123 <191 et 192, point 130> ; 146, 216 <250, point 48>). Des dispositions conventionnelles dynamiques doivent être accompagnées de mécanismes adaptés de sauvegarde permettant un exercice effectif de la responsabilité appartenant aux organes constitutionnels dans le cadre du processus d’intégration européenne (cf. Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 121).

103

b) Les modalités et l’étendue du transfert de droits de souveraineté doivent répondre à des principes démocratiques. L’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF protège les électeurs contre une perte substantielle du pouvoir essentiel qu’ils détiennent dans le cadre de l’État constitutionnel, une perte sous forme d’une réduction significative des droits du Bundestag, entraînant par là-même une atteinte au pouvoir d’action de celui des organes constitutionnels qui émane directement des principes d’une élection libre et égale (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <341> ; 142, 123 <190, point 125>). Même dans le cadre d’un transfert de droits de souveraineté sur le fondement de l’article 23, alinéa 1, LF, le Bundestag allemand doit conserver des fonctions et des compétences propres d’importance politique substantielle (cf. Recueil BVerfGE 89, 155 <182> ; 123, 267 <330, 356> ; 142, 123 <195, point 138> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 122).

104

Sont en particulier protégés par l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, l’article 20, alinéas 1 et 2, et l’article 79, alinéa 3, LF en tant qu’éléments inaliénables du principe de démocratie consacré par la Loi fondamentale le pouvoir budgétaire du Bundestag allemand (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <359> ; 129, 124 <177, 181>) et la responsabilité d’ensemble du Bundestag en matière de politique budgétaire (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <359> ; 129, 124 <177> ; 132, 195 <239, point 106> ; 135, 317 <399 et 400, point 161> ; 142, 123 <195, point 138> ; 146, 216 <253 et 254, point 54>). Que le Bundestag allemand décide, tout en en assumant la responsabilité devant le peuple, des recettes et des dépenses budgétaires substantielles fait partie du noyau dur non susceptible d’une révision constitutionnelle et protégé par l’article 20, alinéa 1 et alinéa 2, 1re phrase, LF (cf. Recueil BVerfGE 70, 324 <355 et 356> ; 79, 311 <329> ; 129, 124 <177> ; 142, 123 <195, point 138>). C’est à lui qu’il appartient de décider sur le montant des charges imposées aux citoyens et sur les dépenses essentielles de l’État (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <361>). Dès lors, un transfert de droits de souveraineté violerait en tout état de cause le principe de démocratie si la fixation de la nature et du montant des charges publiques était transférée de manière considérable au niveau supranational et échappait donc au pouvoir de contrôle du Bundestag (cf. Recueil BVerfGE 129, 124 <179> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 123).

105

3. Dans ce contexte, l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF, combiné à l’article 20, alinéa 1 et alinéa 2, 1re phrase, LF confère aux électeurs un droit à l’encontre du gouvernement fédéral, du Bundestag et, le cas échéant, du Bundesrat à ce que ces organes veillent au respect du programme d’intégration par les institutions, les organes et les organismes de l’Union européenne, n’apportent pas leur concours à l’établissement et à la mise en œuvre de mesures qui excèdent les limites du programme d’intégration, et, en cas d’excès de compétence manifestes et structurellement significatifs, agissent pour que ce programme soit observé et ses limites respectées (a). Le respect de ce droit est contrôlé par la Cour constitutionnelle fédérale dans le cadre du contrôle ultra vires (b).

106

a) La primauté de la constitution (art. 20, al. 3, LF) impose aux organes constitutionnels de veiller à ce que les limites du programme d’intégration soient respectées lorsqu’ils contribuent à la mise en œuvre de ce programme, ainsi que lors de son aménagement et de son évolution ultérieure (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <351 sqq., 435> ; 129, 124 <180 et 181> ; 135, 317 <399 sqq., point 159 sqq.> ; 142, 123 <208, point 164>). Ils ont à cet égard une responsabilité permanente d’assurer le respect du programme d’intégration par les institutions, les organes et les organismes de l’Union européenne (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <352 sqq., 389 sqq., 413 sqq.> ; 126, 286 <307> ; 129, 124 <181> ; 132, 195 < 238 et 239, point 105> ; 134, 366 < 394 et 395, point 47> ; 142, 123 <208, point 165> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 141). Cette obligation va de pair, pour tous les citoyens disposant du droit de vote, avec un droit consacré à l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF à l’encontre des organes constitutionnels à ce que ces derniers veillent à ce que les restrictions apportées dans le cadre de l’exécution du programme d’intégration au droit des citoyens à l’autodétermination démocratique n’aillent pas au-delà de ce qui est justifié par le transfert licite de droits de souveraineté à l’Union européenne (cf. Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 142).

107

Ce droit est un droit à l’encontre du gouvernement fédéral et du Bundestag en particulier, les deux organes constitutionnels pourvus de compétences particulières en matière de relations extérieures (cf. Recueil BVerfGE 90, 286 <381 sqq.> ; 121, 135 <156 sqq.> ; 131, 152 <195 sqq.> ; 140, 160 <187 sqq., point 67 sqq.> ; 142, 123 <209, point 167> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 143). En cas d’excès de compétence manifestes et structurellement significatifs de la part des institutions, des organes et des organismes de l’Union européenne, le Bundestag et le Bundesrat sont tenus, dans le cadre de leurs compétences, d’agir pour que les limites du programme d’intégration soient respectées (cf. Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 142). Dans certains cas, cette obligation peut également s’imposer au Bundesrat (cf. art. 23, al. 4 à 6, LF et la loi relative à la coopération entre la Fédération et les Länder dans les affaires de l’Union européenne) et au Président fédéral.

108

Les organes constitutionnels ne sont en mesure d’exercer leur responsabilité permanente dans le cadre du processus d’intégration européenne que s’ils surveillent continuellement l’exécution du programme d’intégration. Tel est en particulier le cas lorsque la puissance publique est exercée par des organismes pourvus seulement d’une faible légitimité démocratique (cf. Recueil BVerfGE 130, 76 <123 et 124> ; 136, 194 <266 et 267, points 176 et 177> ; 142, 123 <208 et 209, point 165> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 146).

109

Lorsqu’une mesure d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union européenne outrepasse manifestement et de manière structurellement significative les limites du programme d’intégration, le gouvernement fédéral et le Bundestag sont obligés d’une part de traiter de la question de déterminer de quelle manière la répartition des compétences dans l’Union européenne puisse être rétablie, et d’autre part de prendre une décision quant aux moyens à employer pour parvenir à ce rétablissement (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <397, point 53> ; 142, 123 <209 et 210, point 167> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 147). Dans ce cadre, les organes constitutionnels disposent d’une large liberté d’appréciation politique. En initiant une révision des traités – qui respecte les limites imposées par l’article 79, alinéa 3, LF –, ils peuvent légitimer rétroactivement un excès de compétence (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <365> ; 134, 366 <395, point 49> ; 142, 123 <211, point 170>) et transférer formellement, selon la procédure prévue à l’article 23, alinéa 1, 2e et 3e phrases, LF, les compétences que l’Union s’était arrogées de manière ultra vires. Toutefois, dans la mesure où cette voie serait fermée, soit parce qu’elle n’est pas possible, soit parce qu’elle n’est pas souhaitée, les organes constitutionnels sont tenus d’agir avec les moyens juridiques et politiques dont ils disposent pour que les mesures non couvertes par le programme d’intégration soient abrogées et que les effets de ces mesures – tant qu’elles perdurent – en droit interne demeurent limités le plus possible (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <395 et 396, point 49> ; 142, 123 <211 sqq., point 170 sqq.> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 – 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 –, point 149).

110

b) Les conditions dans lesquelles un contrôle ultra vires est opéré par la Cour constitutionnelle fédérale sont désormais déterminées (cf. Recueil BVerfGE 126, 286 <302 sqq.> ; 134, 366 <382 sqq., point 22 sqq.> ; 142, 123 <198 sqq., point 143 sqq.> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 140 sqq.). Une violation du principe d’attribution n’est évidente que si les institutions, les organes et les organismes de l’Union européenne ont outrepassé les limites de leurs compétences d’une manière violant spécifiquement le principe d’attribution (art. 23, al. 1, LF) ; il faut, en d’autres termes, que l’excès de compétence soit suffisamment caractérisé. Pour qu’un excès de compétence suffisamment caractérisé puisse être constaté, la violation des compétences par la puissance publique de l’Union doit être manifeste, et l’acte contesté doit entraîner dans le système de répartition des compétences entre les États membres et l’Union un glissement structurellement significatif aux dépends des États membres. Il y a un tel glissement structurellement significatif aux dépends des compétences des États membres lorsque l’excès de compétence a, eu égard au principe d’attribution et à l’obligation de respecter le droit, un impact considérable (cf. Recueil BVerfGE 126, 286 <304>). Tel sera régulièrement le cas si l’exercice de la compétence en question par l’institution, l’organe ou l’organisme concernés exigeait une révision du traité conformément à l’article 48 TUE ou le recours à une clause évolutive (cf. CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, Adhésion à la CEDH, Recueil 1996, p. I-1783 <1788, point 30>), ce qui nécessiterait dans le cas de l’Allemagne une intervention du législateur, soit selon la procédure prévue à l’article 23, alinéa 1, 2e phrase, LF, soit sur le fondement de la loi relative à l’exercice de la responsabilité d’intégration du Bundestag et du Bundesrat dans les affaires de l’Union européenne [Integrationsverantwortungsgesetz] (cf. Recueil BVerfGE 89, 155 <210> ; 142, 123 <201 et 202, point 151> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 153).

111

L’exercice du devoir de la Cour constitutionnelle fédérale d’examiner les griefs motivés alléguant qu’une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne a agi ultra vires doit être concilié avec la compétence attribuée à la Cour de justice par les traités d’interpréter et d’appliquer les traités tout en assurant l’unité et la cohérence du droit de l’Union (cf. art. 19, para. 1, al. 1, 2nde phrase, TUE, art. 267 TFUE). La primauté d’application du droit de l’Union se trouverait contournée en pratique et l’application uniforme de ce droit serait menacée si tout État membre pouvait comme bon lui semble se prévaloir d’une compétence de faire vérifier par ses juridictions nationales la validité des actes juridiques de l’Union. D’autre part, si les États membres renonçaient complètement à tout contrôle ultra vires, le pouvoir de disposer des bases conventionnelles de l’Union se trouverait transféré aux seules institutions de l’Union et ce, y compris dans des cas où l’interprétation du droit par ces dernières aboutirait en pratique à une révision des traités ou à une extension des compétences de l’Union. Le fait que dans des cas limites – a priori fort rares, en raison des précautions prévues par le droit de l’Union tant sur le plan des institutions que des procédures – d’excès des compétences de la part des institutions, des organes et des organismes de l’Union européenne, l’approche du droit constitutionnel et celle du droit de l’Union ne se recoupent pas entièrement est dû au fait que dans l’Union européenne, les États membres demeurent, même après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, les maîtres des traités et que l’Union n’a pas franchi le seuil qui ferait d’elle un État fédéral (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <370 et 371>). Les situations de tension inévitables et inhérentes à cette structure doivent, conformément à l’esprit de l’intégration européenne, être désamorcées et résolues de manière coopérative et avec considération mutuelle. C’est cette approche qui caractérise la coopération au sein de l’Union européenne qui constitue une association des États, des constitutions, des administrations et des juridictions (cf. Recueil BVerfGE 140, 317 <338, point 44>).

112

Le contrôle d’actes ultra vires doit être exercé avec retenue et d’une manière ouverte au droit européen. L’interprétation et l’application du droit de l’Union, y compris la détermination de la méthode à y appliquer, appartiennent en premier lieu à la Cour de justice qui, conformément à l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE est chargée d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités. À cet égard, les méthodes de concrétisation du droit par le juge développées par la Cour de justice reposent sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres (cf. art. 6, para. 3, TUE, art. 340, para. 2, TFUE) telles qu’elles se manifestent notamment dans la jurisprudence des cours constitutionnelles et des cours suprêmes des États membres et dans celle de la Cour européenne des droits de l’homme. L’utilisation de ces méthodes et principes par la Cour de justice ne correspond pas (forcément) entièrement à celle faite par les juridictions nationales, mais elle ne saurait non plus ignorer tout simplement cette dernière. Les particularités du droit de l’Union supposent toutefois des divergences non négligeables en ce qui concerne l’importance et la pondération des différentes techniques d’interprétation. Une absence manifeste de prise en compte des méthodes d’interprétation traditionnelles utilisées dans l’espace juridique européen ou, de manière plus générale, des principes communs aux ordres juridiques des États membres n’est pas couverte par le mandat attribué à la Cour de justice par l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE. Dans ce contexte, il n’appartient pas à la Cour constitutionnelle fédérale de substituer son interprétation à celle opérée par la Cour de justice lors de questions d’interprétation du droit de l’Union qui, dans le cadre habituel des débats doctrinaux suivant un raisonnement méthodologiquement valable, peuvent aboutir à des résultats différents (cf. Recueil BVerfGE 126, 286 <307>). La Cour constitutionnelle fédérale doit respecter la décision de la Cour de justice y compris dans les cas où cette dernière parvient à des conclusions auxquelles des arguments très sérieux pourraient être opposés, pour autant que ces conclusions reposent sur des principes méthodologiques reconnus et ne paraissent pas objectivement arbitraires. Le mandat attribué par l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités inclut également dans une certaine mesure un droit à l’erreur (cf. Recueil BVerfGE 126, 286 <307> ; 142, 123 <200 et 201, point 149>).

113

La conclusion qu’il y a eu un excès manifeste de compétence ne présuppose toutefois pas que la question fasse l’unanimité et qu’il n’y ait pas d’opinions juridiques divergentes à son égard. Le fait que des membres de la doctrine, des acteurs politiques et des médias affirment l’innocuité d’une mesure ne fait en principe pas pour autant obstacle à la constatation que cette mesure constitue un excès manifeste de compétence. Un tel excès peut toujours être « manifeste » lorsque la conclusion en ce sens résulte d’une interprétation méticuleuse et approfondie (cf. Recueil BVerfGE 82, 316 <319 et 320> ; 89, 243 <250> ; 89, 291 <300> ; 95, 1 <14 et 15> ; 103, 332 <358 sqq.> ; 142, 123 <201, point 150>). Dès lors, les principes généraux sont applicables dans le cadre d’un contrôle ultra vires (cf. Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 152). Si la Cour de justice outrepasse cette limite, son action n’est alors plus couverte par le mandat attribué par l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE, combiné aux dispositions de la loi d’approbation du traité, ce qui signifie – du moins en ce qui concerne l’Allemagne – qu’il manque à la décision de la Cour de justice le niveau minimum de légitimité démocratique exigé par l’article 23, alinéa 1, 2e phrase, LF, combiné aux articles 20, alinéas 1 et 2, et 79, alinéa 3, LF (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <201, point 149> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 151).

114

4. L’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF et la responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne qui en découle pour les organes constitutionnels protègent les électeurs non seulement contre un transfert de droits de souveraineté à l’Union européenne allant au-delà du domaine prévu à cette fin, ce qui violerait l’article 23, alinéa 1, 3e phrase, LF, combiné à l’article 79, alinéa 3, LF, mais également contre la mise en œuvre de mesures des institutions, des organes et des organismes de l’Union européenne qui produisent le même effet et qui, de fait, sont équivalentes à un transfert de compétences interdit par la Loi fondamentale (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <195 et 196, point 139> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 – 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 –, point 154). Dans ce contexte, la responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne impose également aux organes constitutionnels de protéger et de promouvoir les droits conférés à l’individu par l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF, combiné à l’article 20, alinéa 2, 1re phrase, LF (Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 154).

115

Dans les cas où des mesures des institutions, des organes ou des organismes de l’Union européenne déploient des effets portant atteinte aux principes consacrés à l’article 1 et à l’article 20 LF et donc à l’identité constitutionnelle de l’Allemagne, ces mesures outrepassent les limites que la constitution impose à l’ouverture de l’État sur l’Europe (cf. Recueil BVerfGE 113, 273 <296> ; 123, 267 <348> ; 134, 366 <384, point 27> ; 142, 123 <195, point 137>). Tel est le cas en ce qui concerne la préservation de la dignité humaine en tant que noyau dur des droits fondamentaux protégé par l’article 1 LF (cf. Recueil BVerfGE 140, 317 <341, point 48>), ainsi qu’en ce qui concerne les principes qui façonnent les principes de démocratie, d’État de droit, d’État social et d’État fédéral au sens de l’article 20 LF. Concernant le principe de démocratie consacré à l’article 20, alinéas 1 et 2, LF, il est impératif d’assurer entre autres que le Bundestag allemand conserve des fonctions et des compétences propres d’importance politique substantielle (cf. Recueil BVerfGE 89, 155 <182> ; 123, 267 <330, 356> ; 142, 123 <195, point 138>) et que ce dernier demeure en mesure d’assumer sa responsabilité d’ensemble en matière de politique budgétaire (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <359> ; 129, 124 <177> ; 131, 152 <205 et 206> ; 132, 195 <239, point 106> ; 135, 317 <399 et 400, point 161> ; 142, 123 <195, point 138> ; cf. également Recueil BVerfGE 146, 216 <261, point 68> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 123).

II.

116

Selon les critères qui viennent d’être énumérés, le gouvernement fédéral et le Bundestag allemand ont violé les droits que les requérants sous I., II. et III. tiennent en vertu de l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF, combiné à l’article 20, alinéas 1 et 2, LF et à l’article 79, alinéa 3, LF, dans la mesure où ils se sont abstenus de prendre des mesures adaptées contre l’omission de la BCE qui n’a, dans sa décision (UE) 2015/774, modifiée par les décisions (UE) 2015/2101, (UE) 2015/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100, ni vérifié ni démontré la conformité des mesures adoptées au principe de proportionnalité. La décision (UE) 2015/774 et les décisions (UE) 2015/2101, (UE) 2015/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100 qui l’ont modifiée constituent dès lors en raison de leur caractère manifeste et structurellement significatif un excès caractérisé des compétences attribuées à la BCE par les articles 119 et 127 sqq. TFUE et les articles 17 sqq. des Statuts du SEBC. Le point de vue opposé adopté par la Cour de justice dans son arrêt du 11 décembre 2018 ne fait pas obstacle à cette constatation, étant donné que sur ce point, l’arrêt n’est tout simplement plus compréhensible et doit être considéré comme étant lui-même rendu ultra vires (1.). En revanche, il n’est pour l’heure pas encore possible d’apporter une réponse définitive à la question de savoir si, dans le cas concret, les décisions prises par la BCE ont bel et bien respecté le principe de proportionnalité (2.). L’interprétation de l’article 123 TFUE avancée par la Cour de justice – bien que suscitant de très sérieuses réserves dans le détail – demeure dans les limites de ce qui est méthodologiquement soutenable. Dès lors, une violation de l’interdiction du financement monétaire des États par les décisions susmentionnées ne peut être constatée (3.). Dans sa réponse notamment à la question préjudicielle no 5, la Cour de justice a considéré en substance qu’il n’y avait pas de risque pour la responsabilité d’ensemble du Bundestag en matière de politique budgétaire. Dès lors, une atteinte à l’identité constitutionnelle de l’Allemagne par les décisions susmentionnées est exclue (4.). En vertu de la responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne qui leur incombe en tant qu’organes constitutionnels, le gouvernement fédéral et le Bundestag sont tenus de prendre des mesures adaptées pour assurer le respect du programme d’intégration. Il leur appartient en outre de surveiller la mise en œuvre ultérieure du PSPP, afin de pouvoir agir en temps utile contre d’éventuelles menaces pour le respect du programme d’intégration et/ou pour la responsabilité d’ensemble du Bundestag en matière de politique budgétaire (5.). Il est en principe interdit à la Bundesbank d’apporter son concours à la mise en œuvre et à l’exécution de la décision (UE) 2015/774 et des décisions (UE) 2015/2101, (UE) 2015/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100 qui l’ont modifiée (6.).

117

1. Contrairement à ce qu’a affirmé la Cour de justice dans sa réponse aux questions préjudicielles no 3 et no 4, la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 4 mars 2015 (UE) 2015/774, ainsi que les décisions (UE) 2015/2101, (UE) 2015/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100 prises par la suite, doivent être considérées comme mesures prises ultra vires par rapport aux articles 119 et 127 sqq. TFUE et aux articles 17 sqq. des Statuts du SEBC. Sur le plan du principe, la Cour constitutionnelle fédérale est certes liée par l’interprétation donnée par la Cour de justice. Cependant, la délimitation des compétences telle qu’elle est appliquée par la Cour de justice n’est tout simplement plus soutenable (a). En définitive, il existe contre la décision PSPP du conseil des gouverneurs de la BCE du 4 mars 2015 UE) 2015/774, ainsi que les décisions (UE) 2015/2101, (UE) 2015/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100 prises par la suite, des objections décisives quant aux compétences (b).

118

a) Lorsqu’à l’occasion d’un contrôle ultra vires ou d’un contrôle du respect de l’identité constitutionnelle de l’Allemagne se pose la question de la validité ou de l’interprétation d’une mesure des institutions, des organes et des organismes de l’Union européenne, la Cour constitutionnelle fédérale examine ladite mesure en principe sur le fondement de l’interprétation et de l’appréciation qu’en a donné la Cour de justice de l’Union européenne. Tel n’est cependant pas le cas lorsque les traités sont interprétés d’une manière qui n’est tout simplement plus compréhensible et qui est donc objectivement arbitraire (cf. supra, aux points 112 et 113).

119

L’affirmation de la Cour de justice dans son arrêt du 11 décembre 2018, selon laquelle la décision de la BCE relative au PSPP et les modifications de ce dernier entrent encore dans la compétence de la BCE (aa), méconnaît manifestement le sens et la portée du principe de proportionnalité (article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE) à respecter également dans le domaine de la répartition des compétences et n’est, en raison de l’absence de prise en compte des effets réels du PSPP, méthodologiquement plus soutenable (bb). L’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018 excède dès lors manifestement le mandat attribué à la Cour de justice par l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE et provoque un glissement structurellement significatif aux dépends des compétences des États membres. Étant donné que cet arrêt constitue lui-même un acte ultra vires, il n’est pas contraignant sur ce point (cc).

120

aa) Selon l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018, il convient, pour déterminer si la décision (UE) 2015/774 et les décisions qui l’ont modifiée relèvent du domaine de la politique monétaire – compétence exclusive du SEBC – ou du domaine de la politique économique – pour laquelle la compétence appartient en principe aux États membres –, de se référer principalement aux objectifs de cette mesure, ainsi qu’aux moyens que celle-ci met en œuvre en vue d’atteindre ces objectifs (cf. CJUE, arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a., affaire C-493/17, EU:C:2018:1000 <ci-après : CJUE, cit.>, point 50 sqq.). D’une part, le PSPP a, selon la Cour de justice, pour objectif, tel qu’il ressort du considérant 4 de la décision de la BCE, le retour à moyen terme à des taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 %, et dès lors, le PSPP relève de l’objectif principal de la politique monétaire de l’Union (cf. CJUE, loc. cit., points 54 et 57). D’autre part, la Cour de justice indique qu’avec le moyen employé par la décision (UE) 2015/774, à savoir l’achat d’obligations souveraines sur les marchés secondaires, la BCE utilise l’un des instruments de la politique monétaire prévus par le droit primaire (cf. CJUE, loc. cit., points 68 et 69). Dans un tel contexte, la Cour de justice estime que la décision (UE) 2015/774, eu égard à son objectif et aux moyens prévus aux fins d’atteindre celui-ci, relève du domaine de la politique monétaire au sens de l’article 127, paragraphe 1, et de l’article 282, paragraphe 2, TFUE (cf. CJUE, loc. cit., points 57 et 70).

121

Selon la Cour de justice, le rattachement de la décision (UE) 2015/774 et des décisions qui l’ont modifiée au domaine de la politique monétaire au sens de l’article 127, paragraphe 1, et de l’article 282, paragraphe 2, TFUE n’est pas remis en cause par le fait que le PSPP aurait des effets considérables sur le bilan des banques commerciales ainsi que sur les conditions de financement des États membres de la zone euro (cf. CJUE, loc. cit., point 58). Elle poursuit qu’il n’est pas contesté que, par son principe et ses modalités, le PSPP soit de nature à exercer une influence tant sur le bilan des banques commerciales que sur le financement des États membres couverts par ce programme et que de tels effets pourraient éventuellement être recherchés au travers de mesures relevant de la politique économique (cf. CJUE, loc. cit., point 59). Toutefois, le fait que le SEBC est lié par les principes consacrés à l’article 119 TFUE et par la mission mentionnée à l’article 127, paragraphe 1, TFUE, selon laquelle le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales de l’Union, montre aux yeux de la Cour de justice que, au sein de l’équilibre institutionnel établi par les dispositions figurant au titre VIII du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans lequel s’insère l’indépendance garantie au SEBC par l’article 130 et l’article 282, paragraphe 3, TFUE, les auteurs des traités n’ont pas entendu opérer une séparation absolue entre les politiques économique et monétaire (cf. CJUE, loc. cit., point 60). Dès lors, une mesure de politique monétaire ne saurait être assimilée à une mesure de politique économique en raison du seul fait qu’elle est susceptible de produire des effets indirects pouvant également être recherchés dans le cadre de la politique économique (cf. CJUE, loc. cit., point 61, renvoyant également aux arrêts du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 56, ainsi que du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 52).

122

La position de la chambre, selon laquelle tout effet d’un programme d’opérations d’open market sciemment accepté et prévisible avec certitude par le SEBC lors de l’établissement de ce programme ne doit pas être regardé comme un effet (seulement) indirect de celui-ci, ne saurait être retenue selon la Cour de justice (cf. CJUE, loc. cit., point 62). Cette dernière estime d’une part que, tant dans l’arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756), que dans l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400), elle a considéré comme des effets indirects, dépourvus de conséquences sur la qualification, en tant que mesures de politique monétaire ou de politique économique, des mesures en cause dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, des effets qui, dès l’adoption de ces mesures, constituaient des conséquences prévisibles desdites mesures, qui devaient donc avoir été sciemment acceptées lors de cette adoption (cf. CJUE, loc. cit., point 63). D’autre part, elle rappelle que la conduite de la politique monétaire implique en permanence d’agir sur les taux d’intérêt et les conditions de refinancement des banques, ce qui a nécessairement des conséquences sur les conditions du financement du déficit public des États membres ; en particulier, la transmission des mesures de politique monétaire du SEBC à l’évolution des prix passe entre autres par la facilitation de la fourniture de crédit à l’économie ainsi que par la modification des comportements des opérateurs économiques et des particuliers en matière d’investissement, de consommation et d’épargne (cf. CJUE, loc. cit., points 64 et 65). En vue d’exercer une influence sur les taux d’inflation, le SEBC est nécessairement conduit à adopter des mesures ayant certains effets sur l’économie réelle, qui pourraient aussi être recherchés, à d’autres fins, dans le cadre de la politique économique (cf. CJUE, loc. cit., point 66). Dès lors, l’exclusion de toute possibilité, pour le SEBC, d’adopter de telles mesures quand leurs effets sont prévisibles et sciemment assumés lui interdirait, en pratique, d’utiliser les moyens mis à sa disposition par les traités en vue de réaliser les objectifs de la politique monétaire et pourrait, notamment dans le contexte d’une situation de crise économique impliquant un risque de déflation, constituer un obstacle dirimant à la réalisation de la mission qui lui échoit en vertu du droit primaire (cf. CJUE, loc. cit., point 67).

123

bb) L’approche de la Cour de justice consistant à laisser de côté, même dans le cadre de l’examen du respect du principe de proportionnalité (1), les effets réels du PSPP et de ne pas procéder à une appréciation d’ensemble (2) manque aux exigences qu’un examen compréhensible du respect du mandat du SEBC et de la BCE en matière de politique monétaire doit remplir. Dès lors, le principe de proportionnalité n’est plus en mesure de remplir la fonction qui lui revient en vertu de l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE de mécanisme correcteur protégeant les compétences des États membres. Une telle interprétation aboutit en définitive à vider de son sens le principe d’attribution consacré à l’article 5, paragraphe 1, 1rephrase, et paragraphe 2, TUE (3).

124

(1) Le principe de proportionnalité constitue l’un des principes généraux du droit de l’Union, codifié à l’article 5, paragraphe 1, 1re phrase, et paragraphe 2, TUE et trouvant ses sources dans le common law […] et, surtout, dans le droit allemand […]. Par la suite, et à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme […] et de la Cour de justice de l’Union européenne, il est entré dans tous les ordres juridiques (spécialisées) des États européens […].

125

En Allemagne, il est fait une distinction, en ce qui concerne le principe de proportionnalité, entre le caractère adapté [Geeignetheit], le caractère nécessaire [Erforderlichkeit] et le caractère proportionné stricto sensu à l’objectif poursuivi d’une mesure [Angemessenheit] (cf. Recueil BVerfGE 16, 147 <181> ; 16, 194 <201 et 202> ; 30, 292 <316 et 317> ; 45, 187 <245> ; 63, 88 <115> ; 67, 157 <173> ; 68, 193 <218> ; 81, 156 <188 et 189> ; 83, 1 <19> ; 90, 145 <172 et 173> ; 91, 207 <221 sqq.> ; 95, 173 <183> ; 96, 10 <21> ; 101, 331 <347> ; 120, 274 <321 et 322> ; 141, 220 <265, point 93>). Un examen de la proportionnalité d’une mesure prise par la puissance publique à l’aune de ces trois critères est également opéré par le Conseil constitutionnel français […], ainsi que par le Tribunal constitutionnel espagnol […] et la Cour suprême de Suède […]. La Cour constitutionnelle italienne procède à un examen similaire, qu’elle enrichit du critère supplémentaire de rationalité, destiné à vérifier que la mesure examinée a procédé à une mise en balance équilibrée des valeurs consacrées par la constitution […]. Des critères comparables peuvent être relevés dans la jurisprudence en Autriche […], en Pologne […], en Hongrie […], ou encore au Royaume-Uni […].

126

La Cour de justice elle-même reconnaît dans sa jurisprudence constante le principe de proportionnalité en tant qu’élément non écrit du droit de l’Union […]. Sur le fondement de ce principe, elle exige « que les actes des institutions soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de ces objectifs » (Cour de justice de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, arrêt de principe du 29 novembre 1956, Fédération charbonnière de Belgique, C-8/55, Recueil 1956, p. I-302 <311> ; cf. également CJCE, arrêt du 10 décembre 2002, British American Tobacco, C-491/01, Recueil 2002, p. I-11550 <11590, point 122> ; CJUE, arrêt du 8 juillet 2010, Afton Chemical, C-343/09, Recueil 2010, p. I-7062 <7078, point 45> ; arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C-283/11, EU:C:2013:28, point 50 ; arrêt du 17 octobre 2013, Schaible, C-101/12, EU:C:2013:661, point 29 ; arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights, C-293/12 e.a., EU:C:2014:238, point 46). Dans la jurisprudence de la Cour de justice, les termes « propre à », « approprié(e) » et « nécessaire » sont souvent employés lorsqu’est appliqué le principe de proportionnalité, sans toutefois qu’ils ne se recoupent entièrement avec la terminologie et la dogmatique allemandes […]. La jurisprudence de la Cour de justice considère qu’une mesure est propre à réaliser l’objectif visé lorsqu’elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique (cf. CJUE, arrêt du 9 septembre 2010, Engelmann, C-64/08, Recueil 2010, p. I-8244 <8256, point 35> ; arrêt du 16 décembre 2010, Josemans, C-137/09, Recueil 2010, p. I-13054 <13077, point 70> ; arrêt du 21 décembre 2011, Commission / Autriche, C-28/09, Recueil 2011, p. I-13567 <13605, point 126>), mais elle se limite souvent, dans un tel contexte, à vérifier que la mesure examinée n’est pas manifestement inappropriée pour réaliser l’objectif poursuivi (cf. Cour de justice des Communautés européennes [CJCE], arrêt du 7 février 1972, Schroeder / République fédérale d’Allemagne, C-40/72. Recueil 1973, p. I-126 <142 et 143, point 14> ; arrêt du 21 février 1979, Stölting, C-138/78, Recueil 1979, p. I-713 <722, point 7> ; arrêt du 11 juillet 1987, Schräder, C-265/87, Recueil 1989, p. I-2263 <2270, point 22> ; arrêt du 5 octobre 1994, République fédérale d’Allemagne / Conseil, C-280/93, Recueil 1994, p. I-5039 <5068 et 5069, point 90> ; arrêt du 13 mai 1997, République fédérale d’Allemagne / Parlement européen et Conseil, C-233/94, Recueil 1997, p. I-2441 <2461, points 55 et 56> ; arrêt du 8 février 2000, Emesa Sugar, C-17/98, Recueil 2000, p. I-712 <733, point 53> ; arrêt du 10 décembre 2002, British American Tobacco, C-491/01, Recueil 2002, p. I-11550 <11590, point 123> ; arrêt du 14 décembre 2004, Swedish Match, C-210/03, Recueil 2004, p. I-11900 <11919, point 48> ; CJUE, arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C-15/10, Recueil 2011, p. I-6725 <6762, point 125> […]). Dans le cadre du critère de nécessité, la Cour de justice examine la question de savoir si l’objectif visé ne peut être réalisé de manière tout aussi efficace par d’autres mesures, lesquelles apporteraient une ingérence plus douce aux droits concernés (cf. CJCE, arrêt du 10 novembre 1982, Rau / De Smedt, C-261/81, Recueil 1982, p. I-3962 <3973, point 17> ; arrêt du 12 juillet 2001, Jippes, C-189/01, Recueil 2001, p. I-5693 <5720, point 81> ; CJUE, arrêt du 8 juillet 2010, Afton Chemical, C-343/09, Recueil 2010, p. I-7062 <7078, point 45>) ; arrêt du 21 juillet 2011, Beneo-Orafti, C-150/10, Recueil 2011, p. I-6881 <6911, point 75> ; arrêt du 4 mai 2016, Pologne / Parlement européen et Conseil, C-358/14, EU:C:2016:323, point 78 […]), alors que le caractère proportionné d’une mesure – la proportionnalité au sens strict – ne joue qu’un rôle négligeable (cf. CJCE, arrêt du 29 avril 1982, Merkur, C-147/81, Recueil 1982, p. I-1389 <1397, point 12> ; arrêt du 13 novembre 1990, FEDESA, C-331/88, Recueil 1990, p. I-4057 <4063, point 13> ; arrêt du 5 mai 1998, National Farmers Union, C-157/96, Recueil 1998, p. I-2236 <2258, point 60> ; arrêt du 12 mai 2002, Omega, C-27/00 e.a., Recueil 2002, p. I-2599 <2621, point 60> ; CJUE, arrêt du 28 juillet 2011, Agrana Zucker, C-309/10, Recueil 2011, p. I-7337 <7354, point 42> ; arrêt du 23 octobre 2012, Nelson e.a., C-581/10 e.a., EU:C:2012:657, point 71 […]). En règle générale la Cour de justice renonce à un contrôle de la proportionnalité au sens strict (cf. CJCE, arrêt du 23 février 1983, FORMA, C-66/82, Recueil 1983, p. I-396 <404, point 8> ; arrêt du 17 juillet 1997, Affish, C-183/95, Recueil 1997, p. I-4362 <4372, point 30> […]). En outre, elle a tendance, depuis un certain temps, à jumeler les critères du caractère approprié et de la nécessité d’une mesure (cf. CJUE, arrêt du 8 juin 2010, Vodafone e.a., C-58/08, Recueil 2010, p. I-5026 <5045, points 53 et 54> ; arrêt du 12 mai 2011, Luxembourg / Parlement européen et Conseil, C-176/09, Recueil 2011, p. 3755 <3779 et 3780, point 63> ; arrêt du 17 octobre 2019, Cirigliana, C-569/18, EU:C:2019:873, point 43 […]).

127

(2) Dans le cas de l’espèce, le principe de proportionnalité tel qu’il est interprété et manié par la Cour de justice est inadapté, voire non fonctionnel pour délimiter en ce qui concerne le PSPP les domaines de la politique monétaire et de la politique économique, c’est-à-dire d’une part un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne (art. 3, para. 1, c), TFUE) et d’autre part un domaine où l’Union dispose d’une habilitation limitée pour coordonner la politique économique réservée aux États membres (art. 4, para. 1, TUE ; art. 5, para. 1, TFUE).

128

La Cour de justice réaffirme que – eu égard au fait que les auteurs des traités n’ont pas prévu de séparation absolue entre la politique monétaire et la politique économique (cf. CJUE, loc. cit., point 60) – il découle de l’article 119, paragraphe 2, et de l’article 127, paragraphe 1, TFUE, combinés à l’article 5, paragraphe 4, TUE, qu’un programme d’acquisition d’obligations relevant de la politique monétaire ne peut être valablement adopté et mis en œuvre que pour autant que les mesures qu’il comporte sont proportionnées aux objectifs de cette politique (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 66 ; CJUE, loc. cit., point 71). Cette approche repose sur l’idée qu’une interprétation généreuse d’une compétence attribuée peut jusqu’à un certain degré être compensée par un contrôle sérieux du respect du principe de proportionnalité. Selon la Cour de justice, les actes des institutions de l’Union doivent alors être propres à assurer la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne pas dépasser les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 66 ; CJUE, loc. cit., point 72).

129

Une fois qu’elle a déclaré que le SEBC disposait d’un large pouvoir d’appréciation – allant au détriment de la compétence des États membres – (cf. CJUE, loc. cit., points 73 et 91), la Cour de justice procède à un examen du respect du principe de proportionnalité pour l’essentiel en trois temps :

130

Dans un premier temps, elle constate que les taux annuels d’inflation durant la période à prendre en considération étaient loin d’être inférieurs à, mais proches de, 2 % – l’objectif visé par la BCE – et que le SEBC s’est référé, pour atteindre ce but, à la pratique d’autres banques centrales et à diverses études selon lesquelles l’acquisition massive d’obligations souveraines est susceptible de contribuer à la réalisation de cet objectif. En ce qui concerne l’examen de l’aptitude du PSPP d’atteindre l’objectif poursuivi, la Cour de justice estime qu’une erreur manifeste d’appréciation ne peut être constatée (CJUE, loc. cit., point 74 sqq.).

131

Dans un deuxième temps, la Cour de justice se penche sur la question de la nécessité et conclut que le risque de déflation invoqué par la BCE n’aurait pu être contré par l’emploi d’autres outils comme des taux directeurs fixés à un niveau encore plus bas ou l’achat massif d’actifs du secteur privé (cf. CJUE, loc. cit., points 80 et 81) et qu’en raison de certaines caractéristiques comme l’absence de sélectivité du PSPP, les exigences strictes regardant l’éligibilité de titres de créance, la limitation du volume des obligations pouvant être acquises, la priorité donnée à l’achat d’obligations émises par des opérateurs privés, ou encore l’établissement de plafonds stricts d’achat par émetteur et par émission, les effets du PSPP demeuraient limités à ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé (cf. CJUE, loc. cit., point 82 sqq.). Selon la Cour de justice, le volume total des obligations pouvant être acquises dans le cadre du PSPP ne fait pas obstacle à l’affirmation du caractère nécessaire de ce dernier, étant donné que la BCE avait pertinemment fait valoir qu’un volume plus limité ou une durée plus courte de conservation des obligations souveraines acquises n’auraient pas été aussi efficaces. Vu la complexité des questions, il ne saurait à cet égard être exigé davantage du SEBC que l’utilisation de son expertise économique et des moyens techniques nécessaires dont il dispose (cf. CJUE, loc. cit., point 90 sqq.).

132

Dans un troisième temps, la Cour de justice constate finalement que la BCE a pondéré les différents intérêts en présence de manière à éviter que puissent se produire, lors de la mise en œuvre du PSPP, des inconvénients manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi par celui-ci (cf. CJUE, loc. cit., point 93). Sur le fond, la Cour de justice ne se penche par la suite toutefois que sur la question de la réduction du risque de pertes (cf. CJUE, loc. cit., point 94 sqq.), et elle conclut que le PSPP est proportionné, en raisonnant que la BCE avait pris des précautions suffisantes pour limiter le risque spécifiquement lié au PSPP, par exemple en limitant le partage des risques à une faible part des obligations à acheter et en formulant des exigences strictes regardant l’évaluation de la qualité du crédit (cf. CJUE, loc. cit., point 93 sqq.). À cet égard, il reste toutefois obscur quels intérêts contraires sont censés être protégés par ces mesures de précaution ; objectivement, il ne peut s’agir que du principe de l’autonomie budgétaire des États membres et donc de la politique budgétaire qui, conformément à l’article 126 TFUE, ne relève pas du domaine de la politique monétaire. D’autres intérêts contraires ne sont toutefois pas pris en compte.

133

(3) Tel qu’utilisé par la Cour de justice, le principe de proportionnalité consacré à l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE n’est plus en mesure de remplir sa fonction de mécanisme correcteur protégeant les compétences des États membres. L’absence totale de prise en compte de toute conséquence économique du PSPP qui n’était méthodologiquement pas compréhensible déjà à l’occasion de la définition de l’objectif poursuivi par le SEBC (a) a pour effet que l’examen du respect du principe de proportionnalité perd sa fonction, étant donné que le caractère adapté et le caractère nécessaire du PSPP ne sont pas – sauf en ce qui concerne le risque de pertes – mis en relation avec les effets économiques au détriment des compétences des États membres et que ces effets négatifs ne sont pas mis en balance avec les avantages attendus (b). Cette absence de prise en compte entre également en contradiction avec l’approche méthodologique adoptée par la Cour de justice dans pratiquement tous les autres domaines entrant dans le champ de l’ordre juridique de l’Union (c). En définitive, l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018 conduit à permettre au SEBC de mener une politique économique pour autant que la BCE déclare simplement qu’elle a recours à l’un des moyens prévus par ou inhérents aux Statuts du SEBC (cf. art. 20, para. 1, des Statuts du SEBC) et qu’elle poursuit l’objectif en matière d’inflation qu’elle a déterminé.

134

(a) Dans son jugement dans l’affaire OMT rendu le 21 juin 2016, la chambre a jugé que la concrétisation du droit par le juge à laquelle a procédé la Cour de justice dans l’affaire Gauweiler concernant les articles 119 et 127 sqq. TFUE appelait de sérieuses réserves en ce qui concerne le principe d’attribution et le contrôle juridictionnel de la BCE en matière de délimitation du mandat de cette dernière. À cet égard, la chambre a exprimé des doutes, étant donné que la Cour de justice avait accepté sans discussion le point de vue de la BCE affirmant qu’elle poursuivait un objectif de politique monétaire ; la Cour de justice n’avait ni remis en cause ou du moins tenté de les comprendre dans le détail les hypothèses de fait sous-jacentes de la décision de la BCE, ni mis ces hypothèses en relation avec les indices qui militaient manifestement contre une qualité de mesure de politique monétaire du programme OMT. Le jugement OMT précisa à cet égard :

L’acceptation généreuse des objectifs allégués, combinée à un large pouvoir d’appréciation reconnu aux organismes de l’Union européenne et à une retenue conduisant à réduire considérablement le degré d’intensité du contrôle juridictionnel, est susceptible de donner aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union européenne le pouvoir de disposer de manière autonome de l’étendue des compétences qui leur ont été attribuées par les États membres (…). Une telle lecture de la notion de compétence ne rend toutefois pas compte de manière satisfaisante de la dimension constitutionnelle du principe d’attribution (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <217 et 218, point 182 sqq.>).


135

Dans sa décision du 18 juillet 2017 posant des questions préjudicielles à la Cour de justice, la chambre a réaffirmé cette critique et indiqué que la qualification d’une mesure comme relevant de la politique monétaire ou de la politique économique ne saurait se fonder sur le seul critère de l’objectif poursuivi et des moyens choisis pour l’atteindre, mais devait au contraire prendre en considération les effets de la mesure en question (cf. la question préjudicielle no 3, a), b) et c), ainsi que la question préjudicielle no 4). La chambre a dès lors répété qu’il n’était possible de parler d’effets indirects que dans les cas de figure où de tels effets seraient juste une conséquence non prévisible avec certitude et rattachée à l’acte contesté seulement par l’intermédiaire d’actes supplémentaires, mais qu’en revanche, il n’était pas possible de parler d’effets indirects lorsque les effets économiques d’une mesure sont voulus, ou du moins sciemment acceptés, et qu’ils revêtent un poids comparable à celui de l’objectif de politique monétaire visé (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <285 et 286, point 119). Si l’achat d’obligations souveraines par le SEBC devait dans les faits se révéler comme constituant un octroi d’aides financières, il s’agirait alors d’une mesure de politique économique interdite à l’Union européenne (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <280 et 281, points 108 et 109>).

136

En acceptant pour la délimitation entre politique monétaire et politique économique l’objectif indiqué par la BCE sans distinction et sans prise en compte des effets économiques et budgétaires prévisibles et/ou recherchés – peut-être même prioritairement – mais en tous les cas acceptés du PSPP, la Cour de justice donne au SEBC le pouvoir de disposer de manière autonome de l’étendue des compétences qui lui ont été attribuées par les États membres (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <218 et 219, point 184> ; 146, 216 <285 et 286, point 119>). Une telle lecture de la notion de compétence ne rend toutefois pas compte de manière satisfaisante du principe d’attribution et de la nécessité d’interpréter strictement le mandat de la BCE (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <218 et 219, point 184>), car elle conduit à accorder de fait à la BCE une compétence (limitée) de la compétence.

137

La Cour de justice reconnaît certes explicitement que les achats d’actifs comportent une dimension de politique économique. Étant donné qu’elle la déclare toutefois insignifiante par rapport à l’objectif de politique monétaire avancé, elle avalise également des achats d’actifs dans le cadre desquels l’objectif de politique monétaire ne serait qu’allégué, alors qu’en réalité l’objectif visé serait de nature économique et budgétaire. Comme elle l’avait déjà fait dans l’affaire Gauweiler, la Cour de justice accepte la déclaration de la BCE – pourtant contestée de manière motivée – selon laquelle le PSPP poursuit un objectif de politique monétaire, sans remettre en question ou du moins tenter de les comprendre dans le détail les hypothèses de fait sous-jacentes de la décision de la BCE, et sans mettre ces hypothèses en relation avec les indices qui militent contre une qualité de mesure de politique monétaire du programme. Dès lors, demeurent sans réponse le fait que les États membres de la zone euro pouvaient et peuvent toujours utiliser de manière ciblée l’émission d’obligations souveraines à faible rendement comme moyen pour améliorer leur conditions de refinancement, le fait que certains États membres profitent plus que d’autres de ce programme, le fait que des études économiques récentes réfutent que le PSPP produit des effets de politique monétaire […], ainsi que le fait que le PSPP a nettement amélioré la situation économique des banques commerciales et augmenté l’évaluation de la qualité du crédit dont elles bénéficient (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <286 et 287, point 120> […]). L’explication avancée pour ces effets, à savoir d’une part qu’il n’est pas possible de totalement interdire au SEBC d’adopter de telles mesures, même si les effets de ces dernières étaient prévisibles et sciemment acceptés, au motif que les outils permettant de les prendre sont mis à la disposition du SEBC par les traités pour que ce dernier puisse réaliser les objectifs de la politique monétaire, et d’autre part qu’une telle interdiction pourrait constituer, notamment dans une situation de crise économique accompagnée d’un risque de déflation, un obstacle dirimant à l’accomplissement de la mission du SEBC (cf. CJUE, loc. cit., point 67), signifie qu’en définitive, il n’est pas possible de s’opposer à des achats d’obligations souveraines même dans les cas où des tels achats seraient abusifs.

138

(b) L’absence de prise en compte des effets économiques du PSPP conduit à empêcher que l’examen par la Cour de justice du respect du principe de proportionnalité puisse exercer sa fonction, car l’examen opéré fait l’impasse sur l’élément central d’un tel contrôle, à savoir la mise en balance d’intérêts entrant en collision. En définitive, cet examen se trouve vidé de son sens.

139

L’application du principe de proportionnalité (art. 5, para. 1, 2nde phrase, et para. 4, TUE) pour délimiter la politique monétaire de la politique économique implique qu’un programme puisse être considéré comme disproportionné en raison des effets qu’il entraîne. Dès lors, l’appréciation de ces effets fait partie des étapes indispensables lors de la délimitation des compétences entre l’Union et les États membres. Pour sa part, la Cour de justice n’exige toutefois pas de pondération de la contribution que le PSPP est susceptible d’apporter pour la réalisation de l’objectif visé, une contribution qui n’est nullement incontestée, eu égard à la consolidation du niveau bas des taux d’intérêts, aux exigences découlant de l’article 126 TFUE et du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (Pacte budgétaire), ainsi qu’au risque, débattu par la science financière et croissant avec le temps, d’un « effet inverse » […]. La Cour de justice ne tient pas non plus compte dans le cadre de son contrôle du respect du principe de proportionnalité des effets du programme sur la politique économique et sociale. Le fait qu’il soit interdit au Système européen de banques centrales d’agir en matière de politique économique et sociale n’exclut pas de prendre en compte, sous l’angle du principe consacré par l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE, les effets entraînés par un programme d’achats d’obligations souveraines – par exemple en ce qui concerne la dette publique, l’épargne, les retraites, les prix de l’immobilier, le maintien en vie d’entreprises qui ne sont économiquement plus viables – et, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble, de les mettre en balance avec l’objectif de politique monétaire poursuivi et susceptible d’être réalisé.

140

Tel qu’il est appliqué par la Cour de justice, le principe de proportionnalité est inadapté tant pour compenser la limitation insuffisante des compétences du SEBC en ce qui concerne leurs éléments matériels (« large pouvoir d’appréciation ») que pour mesurer l’intensité de l’ingérence dans la compétence des États membres […]. L’approche adoptée par la Cour de justice a plutôt pour effet de permettre à la BCE de pouvoir choisir comme bon lui semble le moyen qu’elle estime le plus approprié, même si les avantages sont – en comparaison avec d’autres options – faibles et que les dommages collatéraux sont importants.

141

En déclarant, malgré les points de recoupement entre politique économique et politique monétaire, comme non déterminantes les indications pointant en défaveur d’un rattachement du PSPP au domaine de la politique monétaire, et en excluant d’emblée de procéder à une appréciation d’ensemble pour délimiter ces deux champs de politique (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <416 et 417, points 99 et 100> ; 142, 123 <218 et 219, point 183>), la Cour de justice renonce à exercer un contrôle effectif du respect des normes de compétence par la BCE. Certes, il est exact que la BCE dispose d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’il s’agit pour elle d’apprécier et d’évaluer les effets de ses mesures et de pondérer ces effets par rapport aux objectifs poursuivis par le programme d’achats d’actifs. Cependant, il n’est méthodologiquement plus soutenable que la Cour de justice estime que les effets d’un tel programme n’ont aucune importance juridique tant dans le cadre de la détermination de l’objectif visé par le SEBC que dans celui de l’examen du respect du principe de proportionnalité.

142

L’approche adoptée par la Cour de justice dans son contrôle ne répond pas aux exigences qui découlent de la fonction charnière du principe d’attribution et des répercussions que ce principe doit déployer lors du contrôle de son respect. Lorsque sont affectés des intérêts fondamentaux des États membres – ce qui sera généralement le cas lorsqu’il s’agit d’interpréter les compétences attribuées à l’Union européenne et le programme d’intégration démocratiquement légitime de cette dernière – les intentions alléguées de la Banque centrale européenne ne sauraient être reprises telles quelles dans le cadre du contrôle juridictionnel (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <219 et 220, point 186>). Cette constatation vaut d’autant plus que les articles 119 et 127 sqq. TFUE et les articles 17 sqq. des Statuts du SEBC prévoient un mandat du SEBC limité à la politique monétaire et ne permettent au SEBC que d’apporter un soutien aux politiques économiques générales dans l’Union (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <277, point 100>). La constatation de la Cour de justice selon laquelle le fait que le SEBC d’une part soit lié aux principes consacrés à l’article 119 TFUE et d’autre part apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union visé à l’article 127, paragraphe 1, TFUE montre que, au sein de l’équilibre institutionnel établi par les dispositions figurant au titre VIII du TFUE, dans lequel s’insère l’indépendance garantie au SEBC par l’article 130 et l’article 282, paragraphe 3, TFUE, les auteurs des traités n’ont pas entendu opérer une séparation absolue entre les politiques économique et monétaire (cf. CJUE, loc. cit., point 60) est inconciliable avec ce régime juridique, d’autant plus que seule la politique monétaire relève de la compétence exclusive de la Union européenne (art. 3, para. 1, c), TUE).

143

En outre, il est impératif que, en raison du niveau de légitimité démocratique plus réduit des décisions des banques du SEBC qui découle de l’indépendance de la BCE et des banques centrales nationales (art. 130, art. 282, para. 3, 3e et 4e phrases, TFUE, art. 88, 2nde phrase, LF), le mandat du SEBC soit limité strictement. L’indépendance consacrée par les traités ne porte que sur les compétences attribuées à la BCE par les traités et sur l’aménagement concret de leur contenu, et non sur la détermination de l’étendue et de la portée du mandat de la BCE. Afin que la BCE ne puisse, en violation du principe d’attribution, valablement décider de lancer et de mettre en œuvre un programme allant au-delà du domaine attribué à la politique monétaire par le droit primaire, le respect des limites de sa compétence par la BCE doit pleinement être susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel (cf. Recueil BVerfGE 89, 155 <207 sqq., 211 et 212> ; 134, 366 <399, point 59> ; 142, 123 <219 sqq., point 187 sqq.> ; 146, 216 <278, points 102 et 103> ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, points 134, 139 et 211). Dès lors, est manifestement incompatible avec une telle interprétation stricte exigée par le droit constitutionnel une interprétation des attributions de compétence en matière de politique monétaire qui d’une part considère qu’il est suffisant d’indiquer que les achats d’actifs poursuivent un objectif de politique monétaire et d’autre part déclare insignifiants, tant pour la délimitation des compétences que pour l’examen du respect du principe de proportionnalité, les effets économiques et fiscaux du PSPP et ce, même lorsque de tels effets sont prévisibles, sciemment acceptés, voire (tacitement) voulus.

144

Une telle interprétation est également contraire aux exigences découlant de l’article 6 CEDH, de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, ainsi que de l’article 23, alinéa 1, 1re phrase, LF, combiné à l’article 19, alinéa 4, 1re phrase, LF (au sujet de l’art. 19, al. 4, 1re phrase, LF, cf. Recueil BVerfGE 15, 275 <282> ; 61, 82 <110 et 111> ; 78, 214 <226> ; 84, 59 <77> ; 129, 1<20> ; 149, 346 <363 et 364, points 34 et 35> ; au sujet de l’art. 47 de la Charte, cf. CJUE, arrêt du 18 juillet 2013, Kadi, C-584/10 P e.a., EU:C:2013:518, point 119 ; arrêt du 18 juillet 2015, Schindler, C-501/11, EU:C:2013:522, points 36 et 38 ; arrêt du 18 juin 2015, Ipatau, C-535/14, EU:C:2015:407, point 42 ; arrêt du 17 décembre 2015, Imtech, C-300/14, EU:C:2015:825, point 38 ; arrêt du 18 février 2016, Bank Mellat, C-176/13, EU:C:2016:96, point 96 ; arrêt du 21 avril 2016, Bank Saderat, C-200/13, EU:C:2016:284, point 98 […] ; pour des décisions plus restrictives, cf. CJCE, arrêt du 15 octobre 2009, Enviro Tech, C-425/08, Recueil 2009, p. I-10035, point 62 ; CJUE, arrêt du 10 juillet 2014, Telefonica de Espana, C-295/12, EU:C:2014:2062, point 55).

145

Dans un autre contexte, la Cour de justice a elle-même constaté que le contrôle du respect de critères juridiques serait privé de toute portée si ce contrôle incombait, en cas de doute quant à ce respect, à l’organisation elle-même qui est à l’origine de la mesure litigieuse (cf. CJUE, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger / Evangelisches Werk für Diakonie und Entwicklung e.V., C-414/16, EU:C:2018:257, point 46). Or, il n’apparaît pas pourquoi il devrait en aller différemment en ce qui concerne les institutions de l’Union européenne, d’autant plus que la Cour de justice a plusieurs fois particulièrement souligné la fonction légitimatrice du contrôle juridictionnel (cf. CJUE, arrêt du 9 mars 2010, Commission / Allemagne, C-518/07, Recueil 2010, p. I-1897, point 42 ; arrêt du 22 janvier 2014, Royaume-Uni c /Parlement européen et Conseil, C-270/12, EU:C:2014:18, points 45 et 53).

146

(c) En dernier lieu, l’absence de prise en compte des conséquences économiques du PSPP entre également en contradiction avec l’approche méthodologique adoptée par la Cour de justice dans pratiquement tous les autres domaines entrant dans le champ de l’ordre juridique de l’Union.

147

Tel est en premier lieu le cas en ce qui concerne le domaine des droits fondamentaux protégés par le droit de l’Union. À présent, les ingérences dans les droits fondamentaux sont admises dans l’espace juridique européen (cf. CJCE, arrêt du 6 décembre 1984, Biovilac, C-57/83, Recueil 1984, p. I-4058 <4079, point 22> ; décision du 23 septembre 2004, Springer / Zeitungsverlag Niederrhein e.a., C-435/02 e.a., Recueil 2004, p. I-8667 <8683, point 49> […]).

148

Il en va de même en ce qui concerne les discriminations indirectes résultant de circonstances factuelles (cf. CJCE, arrêt du 12 février 1974, Sotgiu, C-152/73, Recueil 1974, p. I-154 <164 et 165, point 11> ; arrêt du 16 février 1978, Commission / Irlande, C-61/77, Recueil 1978, p. I-418 <451, points 78/80> ; arrêt du 15 juillet 1978, Defrenne, C-149/77, Recueil 1978, p. I-1366 <1377 et 1378, points 16/18 et 19/23> ; arrêt du 12 juillet 1979, CRAM / Toia, C-237/78, Recueil 1979, p. I-2646 <2653, point 12> ; arrêt du 10 avril 1984, Colson et Kamann, C-14/83, Recueil 1984, p. I-1892 <1907, point 18> ; arrêt du 15 décembre 1994, Stadt Lengerich e.a. / Helmig e.a., C-399/92, Recueil 1994, p. I-5738 <5753, point 20> ; arrêt du 6 décembre 2007, Voß / Land de Berlin, C-300/06, Recueil 2007, p. I-10592 <10605, point 38> ; conclusions de l’avocat général Warner du 28 janvier 1981 dans l’affaire Jenkins / Kingsgate, C-96/80, Recueil 1981, p. I-929 <937> […]).

149

Dans le domaine des libertés fondamentales, il convient de mentionner les mesures à effet équivalent (cf. CJCE, arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, C-8/74, Recueil 1974, p. I-838 <852, point 5> ; arrêt du 31 mars 1993, Kraus / Land du Bade-Wurtemberg, C-19/92, Recueil 1993, p. I-1689 <1697, point 32> ; arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Recueil 1995, p. I-4186 <4197 et 4198, point 37> ; arrêt du 27 janvier 2000, Graf / Filzmoser, C-190/98, Recueil 2000, p. I-513 <523, point 23> ; arrêt du 10 février 2009, Commission / République italienne, C-110/05, Recueil 2009, p. I-519, point 37 […]). Dans le cadre d’un examen de la question de savoir si des restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation sont justifiées au sens de l’article 36 TFUE, la Cour de justice exige que soit examiné de manière objective, à l’aide de données statistiques, de données ponctuelles ou d’autres moyens, si les éléments de preuve fournis par l’État membre concerné permettent raisonnablement d’estimer que les moyens choisis sont aptes à réaliser les objectifs poursuivis ainsi que s’il est possible d’atteindre ces objectifs par des mesures moins restrictives de la liberté de circulation des marchandises (cf. CJUE, arrêt du 19 octobre 2016, Deutsche Parkinson Vereinigung e.V. / Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs e.V., C-148/15, EU:C:2016 :776, point 36).

150

Il en va de même lors de l’application de principes généraux du droit comme le principe de l’effet utile (cf. CJCE, arrêt du 5 février 1963, van Gend & Loos, C-26/62, Recueil 1963, p. I-7 <26> ; arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn, C-41/74, Recueil 1974, p. I-1338 <1348, point 12> ; arrêt du 1er février 1977, Nederlandse Ondernemingen, C-51/76, Recueil 1977, p. I-114 <126 et 127, points 20/29> ; arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, C-205/82 e.a., Recueil 1983, p. I-2635 <2665 et 2666, point 19> ; arrêt du 20 septembre 1988, Beentjes, C-31/87, Recueil 1988, p. I-4652 <4655, point 11> ; arrêt du 20 septembre 1988, Borken / Moormann, C-190/87, Recueil 1988, p. I-4714 <4723, point 27> ; arrêt du 15 septembre 1998, Edis, C-231/96, Recueil 1998, p. I-4979 <4990, points 34 et 35> ; arrêt du 9 février 1999, Dilexport, C-343/96, Recueil 1999, p. I-600 <611 et 612, points 25 et 26> ; CJUE, arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer, C-360/09, Recueil 2011, p. I-5186 <5200, points 28 et 29> ; arrêt du 26 juin 2019, Kuhar / Addiko Bank, C-407/18, EU:C:2019:537, points 46 et 48 ; arrêt du 7 novembre 2019, Flausch, C-280/18, EU:C:2019:928, points 27, 29, 43 et 44 […]).

151

La même démarche est suivie en ce qui concerne le principe d’équivalence (cf. CJCE, arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, C-205/82 e.a., Recueil 1983, p. I-2635 <2665 et 2666, point 19> ; arrêt du 8 février 1996, FMC, C-212/94, Recueil 1996, p. I-404 <422, point 52> ; arrêt du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261/95, Recueil 1997, p. I-4037 <4046, point 27 ; 4047 et 4048, points 32 et 33> ; arrêt du 15 septembre 1998, Edis, C-231/96, Recueil 1998, p. I-4979 <4986, point 19 ; 4990, point 34 ; 4991, point 36> ; arrêt du 9 février 1999, Dilexport, C-343/96, Recueil 1999, p. I-600 <610, point 25 ; 611, point 27> ; arrêt du 19 septembre 2002, Autriche / Huber, C-336/00, Recueil 2002, p. I-7736 <7755, point 55> ; CJUE, arrêt du 26 juin 2019, Kuhar / Addiko Bank, C-407/18, EU:C:2019:537, points 46 et 47 ; arrêt du 7 novembre 2019, Flausch, C-280/18, EU:C:2019:928, points 27 et 28 […]).

152

Finalement, même dans le cadre d’un contrôle du respect de normes attribuant des compétences, la Cour de justice a pris en compte lors de son appréciation juridique les effets de fait de la mesure litigieuse, par exemple lors de l’interprétation de la compétence consacrée à l’article 114 TFUE en matière d’harmonisation pour le fonctionnement du marché intérieur (cf. CJCE, arrêt du 2 mai 2006, C-217/04, Royaume-Uni / Parlement européen et Conseil, Recueil 2006, p. I-3789 <3805, point 42> ; CJUE, arrêt du 22 janvier 2014, Royaume-Uni / Parlement européen et Conseil, C-270/12, EU:C:2014:18, point 113 ; arrêt du 4 mai 2016, C-358/14, République de Pologne / Parlement européen, EU:C:2016:323, point 32), ou encore lors du contrôle des aides accordées par les États conformément aux articles 107 et 108 TFUE (cf. CJCE, arrêt du 10 décembre 1969, Commission / France, C-6/69 e.a., Recueil 1969, p. I-525 <540, points 18/19 et 20> ; arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris / Commission, C-730/79, Recueil 1980, p. 2672 <2688 et 2689, points 11 et 12> ; CJUE, arrêt du 16 avril 2014, Trapeza, C-690/13, EU:C:2015:235, point 23 […]).

153

Ni l’arrêt du 11 décembre 2018, ni les décisions qui l’ont précédé dans les affaires Pringle (CJUE, arrêt du 27 novembre 2012, C-370/12, EU:C:2012:756) et Gauweiler (CJUE, arrêt du 16 juin 2015, C-62/14, EU:C:2015:400) n’indiquent pourquoi il devrait en aller autrement, dans le cas de l’espèce, en ce qui concerne la délimitation des compétences en matière de politique monétaire et de politique économique. Sans indication de motifs détaillés justifiant cette approche divergente adoptée par la Cour de justice, l’interprétation opérée par cette dernière n’est méthodologiquement pas compréhensible.

154

cc) L’interprétation du principe de proportionnalité et la définition du mandat du SEBC qui en découle dans l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018 outrepassent manifestement le mandat attribué à la Cour de justice en vertu de l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE (1), et elles ont pour effet un glissement structurellement significatif aux dépends des compétences des États membres (2). Dès lors, l’arrêt en question constitue un acte ultra vires par lequel la Cour constitutionnelle fédérale n’est pas liée sur ce point (3).

155

(1) Dans la mesure où il affirme que le PSPP respecte le principe de proportionnalité, l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018 excède manifestement, pour les raisons susmentionnées (cf. supra, aux points 134 sqq.), le mandat attribué à la Cour de justice en vertu de l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE.

156

L’autolimitation du contrôle juridictionnel opéré par la Cour de justice à la question de savoir si la BCE a commis une erreur « manifeste » d’appréciation (cf. CJUE, loc. cit., points 56, 78 et 91), si une mesure ne va pas « manifestement » au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis (cf. CJUE, loc. cit., points 79, 81, 86 et 92), ainsi que celle de savoir si les inconvénients d’une telle mesure sont « manifestement » disproportionnés par rapport à ces objectifs (cf. CJUE, loc. cit., point 93 sqq.) ne permet pas d’endiguer la compétence de la BCE limitée à la politique monétaire. Au contraire, cette autolimitation conduit plutôt à concéder à la BCE la possibilité d’étendre ses compétences de manière autonome et non immédiatement reconnaissable – autrement dit, de manière rampante – ou du moins à considérer que de telles extensions de compétence ne sont pas, ou seulement de manière très limitée, susceptibles d’être contrôlées au moyen d’un recours juridictionnel. L’effet combiné d’un large pouvoir d’appréciation de l’institution dont un acte est contrôlé d’une part, et d’une limitation de l’étendue du contrôle juridictionnel à des cas d’excès manifestes de compétence d’autre part, est peut-être conforme à la jurisprudence traditionnelle en ce qui concerne d’autres domaines du droit de l’Union. Toutefois, cet effet ne tient manifestement pas suffisamment compte de la portée du principe d’attribution et ouvre la voie à une érosion continuelle des compétences des États membres.

157

(2) Dans la mesure cernée ci-dessus, l’arrêt de la Cour de justice provoque en même temps un glissement structurellement significatif aux dépends des compétences des États membres (cf. Recueil BVerfGE 126, 286 <309> ; 146, 216 <260 et 261, point 66>). Il y a dès lors le risque d’une érosion continuelle – qui ne serait plus politiquement maîtrisable par les États membres en tant que maîtres des traités – des compétences des États membres dans les domaines de la politique économique et de la politique budgétaire, ce qui conduirait à un affaiblissement supplémentaire de la légitimité démocratique de la puissance publique exercée par l’Eurosystème – une situation qui à son tour serait incompatible avec la Loi fondamentale (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <395, point 48> ; 142, 123 <192 et 193, point 131> ; 193 et 194, point 134> ; 146, 216 <250 et 251, point 48> […]).

158

Le principe d’attribution n’est pas seulement un principe du droit de l’Union, il reprend également des principes constitutionnels des États membres (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <350> ; 142, 123 <219, point 185>). Il constitue la justification déterminante de l’affaiblissement apporté au niveau de la légitimité démocratique de la puissance publique exercée par l’Union européenne, un affaiblissement qui, en Allemagne, n’affecte pas seulement des principes objectifs de l’ordre constitutionnel (art. 20, al. 1 et 2, LF), mais également le droit de vote des citoyens et leur droit à la démocratie découlant de l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <219, point 185>). Par conséquent, la préservation des fondements sur lesquels repose la répartition des compétences au sein de l’Union européenne est d’une importance primordiale pour la garantie du principe de démocratie. Dès lors, la finalité du programme d’intégration ne saurait conduire à ce que le principe d’attribution – l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’Union européenne – se trouve de fait abrogé ou contourné (cf. également la déclaration no 42 annexée à l’Acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le Traité de Lisbonne et portant sur l’article 352 TFUE ; cf. également CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, Adhésion à la CEDH, Recueil 1996, I-1783 <1788, point 30>).

159

La délimitation entre politique monétaire et politique économique exige une décision politique de principe qui va bien au-delà du cas spécifique et entraîne des conséquences considérables pour la répartition du pouvoir et de l’influence au sein de l’Union européenne. La qualification d’une mesure comme relevant de la politique monétaire et non de la politique économique ou de la politique budgétaire n’affecte pas seulement la question de la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres ; elle détermine également le niveau de légitimité démocratique et le contrôle exercé dans le domaine en question, étant donné que la politique monétaire est une compétence attribuée au SEBC dont l’indépendance est consacrée par les articles 130 et 282 TFUE (cf. CJUE, arrêt du 9 mars 2010, Commission / Allemagne, C-518/07, Recueil 2010, p. I-1897, point 42 ; Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, point 132 sqq.).

160

Le fait d’avoir pour l’essentiel vidé de son sens le principe de proportionnalité et, dès lors, l’absence d’une appréciation d’ensemble des circonstances de l’espèce revêtent une importance particulière pour le principe de démocratie et le principe de la souveraineté populaire. Ils sont, comme cela a été souligné ci-dessus (cf. supra, aux points 158 sqq.) susceptibles de bouleverser les fondements sur lesquels repose la répartition des compétences au sein de l’Union européenne et de contourner le principe d’attribution (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <201 et 202, point 151> ; 146, 216 <259 et 260, point 63>). La prise de mesures de politique économique par le SEBC exigerait une révision du Traité sur l’Union européenne conformément à l’article 48 TUE (cf. CJCE, avis 2/94 du 28 mars 1996, Adhésion à la CEDH, Recueil 1996, p. I-1783 <1788, point 30>), ce qui exigerait à son tour une intervention du législateur (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <201 et 202, point 151> ; 146, 216 <259 et 260, point 63>).

161

En suivant l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018, une distinction entre politique monétaire et politique économique serait dans une large mesure impossible. Cet état des choses menace en même temps l’indépendance de la BCE garantie par l’article 130 TFUE, car la Banque pourrait se voir confrontée à des exigences politiques la pressant à réellement utiliser les marges d’action que la jurisprudence de la Cour de justice lui a ouvertes. Plus le mandat de la BCE est étendu et plus il empiète sur le domaine réservé à la politique économique et à la politique budgétaire, plus le risque sera grand que des acteurs intéressés tentent d’influencer la BCE […].

162

(3) Dans son arrêt du 11 décembre 2018, la Cour de justice a pour l’essentiel renoncé à distinguer entre politique économique et politique monétaire, étant donné que dans le cadre du contrôle du respect du principe de proportionnalité par le PSPP, elle s’est contentée d’accepter l’objectif avancé par la BCE et l’indication de cette dernière, selon laquelle des moyens plus doux n’étaient pas disponibles. Dès lors, elle permet au SEBC de mener une politique économique au moyen de l’achat d’obligations souveraines. Une telle approche ne trouve toutefois pas de fondement dans le droit primaire.

163

L’interprétation donnée par la Cour de justice au mandat de la BCE en matière de politique monétaire constitue une ingérence dans la compétence des États membres en matière de politique économique et de politique budgétaire. Quelques exceptions mises à part (cf. art. 121 et 122, art. 126 TFUE), la compétence de l’Union européenne dans le domaine de la politique économique est pour l’essentiel limitée à une coordination des politiques économiques des États membres (art. 119, para. 1, TFUE). Le SEBC est dès lors censé de juste soutenir les politiques économiques générales « dans » l’Union (art. 119, para. 2, art. 127, para. 1, 2e phrase, TFUE ; art. 2, 2e phrase, des Statuts du SEBC), sans être lui-même habilité à mener une politique économique autonome. Dans la mesure où l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire Weiss d’une part fournit en fait à la BCE la compétence de mener une politique économique autonome au moyen d’un programme d’achats d’actifs et d’autre part refuse de procéder à un contrôle effectif du respect des normes de compétence à l’aune du principe de proportionnalité – un contrôle dans le cadre duquel seraient mis en balance les effets économiques et fiscaux du PSPP d’une part et l’objectif de politique monétaire visé par ce dernier d’autre part –, cet arrêt excède la compétence attribuée à la Cour de justice par l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE (cf. également Recueil BVerfGE 126, 286 <306>). Dès lors, la Cour de justice a agi ultra vires et son arrêt n’est, dans la mesure où il constitue un acte ultra vires, pas contraignant en Allemagne.

164

b) Étant donné qu’il est d’une part nécessaire, afin de pouvoir trancher la question de savoir si le gouvernement fédéral et le Bundestag allemand ont agi conformément aux exigences qu’ils doivent remplir en vertu de leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne, d’apporter une réponse à la question préliminaire de déterminer si les actions du SEBC lors de la prise de décision sur le PSPP et lors de la mise en œuvre de ce dernier sont couvertes par les compétences qui lui ont été attribuées et que, d’autre part, il n’est, pour les raisons susmentionnées, pas possible de se fonder sur l’arrêt de la Cour de justice pour répondre à cette question préliminaire, il est nécessaire que cette dernière soit examinée par la chambre elle-même. Il résulte de cet examen que la décision (UE) 2015/774 et les décisions (UE) 2015/2101, (UE) 2015/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100 qui l’ont modifiée ne sont, à défaut d’une appréciation suffisante à l’aune du principe de proportionnalité, pas couvertes par la compétence de la BCE en matière de politique monétaire (art. 127, para. 1, 1re phrase TFUE) et par sa compétence d’apporter juste son soutien aux politiques économiques des États membres (art. 127, para. 1, 2e phrase, TFUE).

165

Un programme d’acquisition d’obligations lancé par le SEBC qui, comme le PSPP, entraîne des conséquences économiques considérables, doit être conforme aux exigences du principe de proportionnalité (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 66 sqq. ; CJUE, loc. cit., point 71). Pour une telle conformité, il est impératif – outre l’exigence qu’un tel programme soit adapté et nécessaire pour atteindre l’objectif qu’il vise – que l’objectif de politique monétaire poursuivi d’une part, et les effets économiques engendrés d’autre part, soient identifiés, pondérés et mis en balance. L’objectif de politique monétaire poursuivi par le PSPP n’est certes pas (encore) à critiquer (aa). Toutefois, la poursuite inconditionnelle de cet objectif tout en ignorant les conséquences économiques du programme lancé méconnaît manifestement le principe de proportionnalité consacré par l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE (bb). La violation du principe de proportionnalité est structurellement significative et, dès lors, l’action de la BCE doit être qualifiée d’acte ultra vires (cc).

166

aa) Sur le plan du principe, le caractère adapté du PSPP pour réaliser l’objectif d’obtenir des taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 % n’est – comme l’a également relevé la Cour de justice – pas à critiquer, bien que des doutes quant à ce caractère adapté, par exemple en raison de l’abaissement des taux d’intérêt généraux (cf. Conseil d’experts pour l’appréciation de l’évolution économique générale, rapport annuel 2016/2017, p. 194 <décembre 2016> ; rapport annuel 2017/2018, p. 174 <décembre 2017> ; Fédération des banques publiques allemandes, 3 Jahre EZB-Wertpapierankäufe, p. 11 <30 novembre 2017>) et les effets modérateurs sur l’inflation qui en découlent, ne soient pas abordés dans les décisions relatives au PSPP, pas plus que ne le sont les risques possibles – du moins en cas durée prolongée du programme – d’un « effet inverse ». L’objectif du PSPP d’augmenter les taux d’inflation à des taux inférieurs à, mais proches de, 2 % constitue, sur le plan du principe, une concrétisation licite de la mission de maintenir la stabilité des prix, tout comme le moyen employé, l’achat d’obligations, est explicitement permis par l’article 18, paragraphe 1, des Statuts du SEBC (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 54 ; CJUE, cit., points 69, 146, 153 ; Recueil BVerfGE 146, 216 <284 sqq., point 115 sqq.>).

167

bb) Il ne ressort ni de la décision (UE) 2015/774 du conseil des gouverneurs de la BCE du 4 mars 2015 relative au PSPP, ni des décisions (UE) 2015/2101, (UE) 2015/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100 qui l’ont modifiée, ni de la décision du 12 septembre 2019 que ces décisions auraient procédé à ou reposeraient sur la mise en balance nécessaire de l’objectif de politique monétaire d’une part, et des effets économiques engendrés par les moyens employés d’autre part (1). Par conséquent, les décisions en question portent atteinte au principe de proportionnalité au sens de l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE (2).

168

(1) Les décisions contestées se bornent à affirmer que l’objectif de taux d’inflation inférieurs à, mais proches de, 2 % formulé par la BCE n’a pas été atteint et que des moyens plus doux ne seraient pas disponibles. Toutefois, en procédant ainsi, non seulement aucune réponse claire n’est apportée à la question de savoir de quelle nature étaient les charges prises en considération lors de l’examen du caractère nécessaire du programme, mais en plus, les décisions ne contiennent pas de prévision ni quant à l’impact économique du programme ni en ce qui concerne la question de savoir si cet impact est raisonnable par rapport aux avantages monétaires visés.

169

Dès lors, il ne ressort pas des éléments de l’affaire que le conseil des gouverneurs de la BCE ait saisi et mis en balance les effets inhérents au PSPP et immédiatement liés à ce dernier – effets nécessairement entraînés eu égard au volume de plus de 2 000 milliards d’euros du PSPP et une durée de désormais trois ans. Étant donné que les conséquences négatives du PSPP s’intensifient plus le PSPP dure et augmente en volume, les exigences qu’une telle mise en balance doit remplir deviennent plus strictes avec la durée.

170

(a) Le PSPP améliore les conditions de financement des États membres, car ces derniers peuvent emprunter sur le marché des capitaux à des conditions nettement plus avantageuses. Dans la mesure où le PSPP, avec son volume de plus de 2 000 milliards d’euros, affecte les conditions de financement des États membres de manière substantielle, il a des répercussions profondes sur le domaine régi par l’article 123 TFUE – un domaine relevant de la politique budgétaire. La même conclusion a été tirée explicitement par la Cour de justice à cet égard (cf. CJUE, loc. cit., points 130 et 131, point 136), et elle a également été confirmée par les tiers experts entendus dans le cadre de l’audience publique. L’abaissement des taux d’intérêt généraux favorisé par le PSPP réduit indubitablement la pression pesant sur les budgets des États membres […]. Dès lors, le risque est réel – malgré les « garanties » avancées par la Cour de justice – que les efforts d’assainissement et de réforme nécessaires ne soient plus poursuivis ou mis en œuvre […].

171

Le PSPP a donc un effet considérable sur les conditions générales pour la politique budgétaire dans les États membres et il affecte en outre les domaines politiques régis par l’article 126 TFUE et le Pacte budgétaire, ainsi que par les dispositions de droit dérivé précisant ces normes (cf. règlement <UE> no 1173/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la mise en œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro <JO L 306 du 23 novembre 2011, p. 1> ; règlement <UE> no 1174/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 établissant des mesures d’exécution eu vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro <JO L 306 du 23 novembre 2011, p. 8> ; règlement <UE> no 1175/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 modifiant le règlement <CE> no 1466/97 du Conseil relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques <JO L 306 du 23 novembre 2011, p. 12> ; règlement <UE> no 1176/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques <JO L 306 du 23 novembre 2011, p. 25> ; règlement <UE> no 1177/2011 du Parlement européen et du Conseil du 8 novembre 2011 modifiant le règlement <CE> no 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs <JO L 306 du 23 novembre 2011, p. 33> ; règlement <UE> no 472/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière <JO L 140 du 27 mai 2013, p. 1> ; règlement <UE> no 473/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro <JO L 140 du 27 mai 2013, p. 11> ; directive no 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres <JO L 306 du 23 novembre 2011, p. 41>). En particulier – comme l’admet également la Cour de justice (cf. CJUE, loc. cit., points 130, 136 et 143) – le PSPP peut avoir les mêmes effets que les assistances financières octroyées sur le fondement des articles 12 sqq. du Traité MES. Malgré les garanties indiquées par la Cour de justice, l’étendue et la durée du PSPP peuvent conduire à ce que même des effets conformes aux dispositions du droit primaire deviennent excessifs, dès lors qu’ils dissuadent les États membres de mener une politique budgétaire saine et qu’ils conduisent d’une manière générale à ce que des considérations monétaires dictent la conduite politique (« dominance monétaire »), ce qui, à son tour, conduit à ce que la BCE détermine la politique budgétaire des États membres […]. Dans ces conditions, il était prévisible dès le moment où la décision (UE) 2015/774 fut adoptée que plusieurs États membres de la zone euro procéderaient plus à de nouveaux emprunts, afin de relancer leur économie au moyen de programmes d’investissements (cf. Commission européenne, General Government Data, General Government Revenue, Expenditure, Balances and Gross Debt, Part II: Tables by series, automne 2016, p. 158).

172

(b) Il convient de prendre en considération également les effets du PSPP sur le secteur bancaire. Le programme affecte les structures budgétaires des banques commerciales, dans la mesure où il rachète à grande échelle et inscrit au bilan du SEBC aussi des obligations souveraines à risque, ce qui aboutit à une amélioration de la situation économique des banques et renforce leur solvabilité. En même temps, et malgré des taux d’intérêt abaissés, les banques sont invitées à octroyer plus de crédits […].

173

(c) Parmi les effets économiques importants du PSPP figure en outre le risque de bulles immobilières ou de bulles des marchés boursiers, ainsi que des conséquences économiques et sociales pour la quasi-totalité des citoyens, qui en sont, du moins indirectement, affectés en leur qualité d’actionnaires, de locataires, de propriétaires d’immeubles, d’épargnants ou encore de preneurs d’assurance. Ainsi, des risques de perte considérables pèsent-ils sur les épargnes. Il en découle des conséquences directes en ce qui concerne les retraites (privées) et la rentabilité des plans d’épargne retraite […]. Ces effets provoquent des restructurations parfois exagérées des portefeuilles de titres […], alors que baissent les primes de risque […]. Concernant l’immobilier – en particulier les immeubles à usage d’habitation situés dans les grandes villes – de nettes augmentations des prix peuvent déjà être constatées […] qui, comme il a été révélé lors de l’audience publique, revêtent le cas échéant déjà les caractéristiques d’une « bulle immobilière ». Il n’appartient pas à la Cour constitutionnelle fédérale de trancher la question du poids devant revenir à de telles préoccupations lors de la pondération opérée dans le cadre d’une décision de politique monétaire ; ce qui est en revanche déterminant est le fait qu’il n’est pas licite de totalement ignorer des effets comme ceux qui viennent d’être énumérés et qui sont provoqués ou du moins amplifiés par le PSPP.

174

(d) Grâce aux taux d’intérêt généraux abaissés, le PSPP permet à des entreprises qui ne sont en principe économiquement plus viables de demeurer sur le marché, puisque de telles entreprises ont accès à des prêts à des conditions favorables […].

175

(e) S’y ajoute le fait, confirmé lors de l’audience publique, que plus le PSPP perdure et plus son volume augmente, plus le SEBC se rend dans une situation de dépendance à l’égard des politiques menées par les États membres, étant donné qu’il ne lui est plus possible de mettre un terme au PSPP et de le liquider.

176

(2) Eu égard à ces effets économiques considérables du PSPP – dont l’énumération n’est pas exhaustive –, la BCE aurait dû les peser, les mettre en relation avec les avantages attendus en ce qui concerne la réalisation de l’objectif de politique monétaire qu’elle avait défini, puis les mettre en balance selon des critères de proportionnalité. Il semble qu’une telle mise en balance n’ait pas eu lieu, ni lors du lancement du programme, ni à un moment ultérieur, ce qui a pour conséquence qu’il n’est pas possible de procéder à un contrôle quant à la question de savoir si le fait de tolérer les effets économiques et sociaux du PSPP douteux en ce qui concerne la répartition des compétences était encore conforme au principe de proportionnalité ou s’il violait ce principe – et, dans l’affirmative, depuis quel moment. Une telle mise en balance ne ressort pas non plus des communiqués de presse de la BCE, ni des déclarations publiques de ses représentants.

177

Dès lors, en raison du manque de mise en balance et d’explication d’une telle mise en balance, les décisions susmentionnées violent l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 4, TUE et, par conséquent, ne sont pas couvertes par la compétence de la BCE en matière de politique monétaire en vertu de l’article 127, paragraphe 1, 1re phrase, TFUE.

178

cc) La violation du principe de proportionnalité est structurellement significative. À cet égard, il est possible de renvoyer aux raisons énumérées dans l’arrêt susmentionné de la Cour de justice dans l’affaire Weiss (cf. supra, aux points 124 sqq.). L’action de la BCE doit donc être qualifiée d’acte ultra vires.

179

2. Étant donné qu’il ne sera possible dans le cas de l’espèce d’apprécier définitivement la compatibilité du PSPP avec l’article 127, paragraphe 1, TFUE qu’une fois que le conseil des gouverneurs de la BCE aura procédé à une évaluation claire de la conformité du programme au principe de proportionnalité, il n’est pour l’heure pas possible de trancher définitivement la question de savoir si le gouvernement fédéral et le Bundestag ont violé leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne également par le fait qu’il n’ont pas agi pour exiger que soit mis un terme au PSPP.

180

3. Dans la mesure où l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018 considère qu’il n’y a pas violation de l’article 123, paragraphe 1, TFUE (a), cette appréciation suscite de sérieuses objections (b). Toutefois, si les « garanties » développées par la Cour de justice pour éviter que l’interdiction du financement monétaire des États se trouve contournée sont strictement respectées (c), une appréciation d’ensemble permet de conclure qu’une violation manifeste de l’article 123, paragraphe 1, TFUE ne peut être constatée à ce stade (d). Le fait que l’Eurosystème achète également des obligations avec un rendement à échéance négatif et contenant des clauses d’action collective (CAC) ne fait pas obstacle à cette conclusion (e).

181

a) L’article 123 TFUE interdit à l’Eurosystème un financement monétaire des États membres (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, points 94 et 95 ; CJUE, cit., points 102 et 103 ; Recueil BVerfGE 134, 366 <411, point 85> ; 142, 123 <225 et 226, points 198 et 199> ; 146, 216 <264 et 265, point 78> […]). L’objectif de cette norme est d’enjoindre les États membres de mener une politique budgétaire saine (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <265, point 78>) et d’éviter un endettement excessif ou des déficits excessifs des États membres (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 100 ; CJUE, loc. cit., point 107).

182

L’article 123, paragraphe 1, TFUE comporte également une interdiction de contourner l’interdiction susmentionnée lorsque l’Eurosystème acquiert des obligations souveraines sur les marchés secondaires (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, points 97 et 101 ; Recueil BVerfGE 134, 366 <411, point 85> ; 142, 123 <225 et 226, point 198> ; 146, 216 <264 et 265, point 78>). L’acquisition d’obligations souveraines sur les marchés secondaires ne saurait avoir un effet équivalent à celui de l’acquisition directe de telles obligations auprès des autorités émettrices (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 97 ; CJUE, loc. cit., point 106 ; Recueil BVerfGE 142, 123 <225 et 226, point 198> ; 146, 216 <264 et 265, point 78>). Dès lors, les États membres ne peuvent pas déterminer leur politique budgétaire en se basant sur la certitude du rachat futur de leurs obligations souveraines sur les marchés secondaires par l’Eurosystème (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 113).

183

Il est désormais établi par la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale que, pour l’appréciation d’un programme d’achats d’obligations souveraines, il est en principe possible de recourir aux « garanties » développées par la Cour de justice dans l’affaire Gauweiler. Les critères qu’elle a établis dans cette affaire permettent de constater s’il y a eu un contournement de l’article 123 TFUE. Bien que le poids et la valeur indicative de ces critères puissent différer en importance selon le programme concret, ils permettent dans leur ensemble une évaluation pertinente (cf. CJUE, conclusions de l’avocat général Wathelet du 4 octobre 2018, Weiss e.a., C-493/17, EU:C:2018:815, point 48). La question du caractère suffisant des « garanties » est dès lors une question à trancher pour chaque cas concret (cf. CJUE, loc. cit., point 108). La licéité (au regard du droit primaire) d’un programme d’achats d’obligations dépend par conséquent de l’efficacité des « garanties » qui l’encadrent.

184

b) Du point de vue de la chambre, l’application de certains de ces critères par la Cour de justice dans l’affaire Weiss suscite de sérieuses réserves. En ce qui concerne l’article 123 TFUE, le raisonnement de l’arrêt rendu dans l’affaire Weiss repose essentiellement sur les mesures de précaution prévues par le PSPP destinées à éviter un contournement de cet article. L’arrêt Weiss s’abstient toutefois d’opérer une évaluation approfondie de ces mesures et n’examine pas les indices pointant dans le sens opposé (pour une appréciation critique d’une telle approche, cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <217 et 218, point 182> ; 146, 216 <267 sqq., point 81 sqq.> […]). Comme il a déjà été établi (cf. supra, aux points 140 sqq.), une telle approche ne satisfait pas aux exigences qu’un contrôle juridictionnel effectif de l’interdiction de contourner l’article 123 TFUE doit remplir, et elle se trouve également en contradiction avec l’approche adoptée par la Cour de justice dans d’autres domaines (cf. CJUE, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor / Commission, C-386/10 P, Recueil 2011, p. I-13085 ; arrêt du 6 novembre 2012, Otis, C-199/11, EU:C:2012:684, point 59 sqq.).

185

aa) D’après l’arrêt rendu par la Cour de justice dans l’affaire Gauweiler, il n’est en principe pas admis que des achats d’obligations souveraines soient annoncés par avance, et il en va de même en ce qui concerne le volume de tels achats. Dans la mesure où ces garanties permettent d’éviter que les conditions d’émission d’obligations souveraines soient altérées par la certitude que ces obligations seront rachetées par le SEBC après leur émission, elles permettent d’exclure que la mise en œuvre d’un tel programme ait, en pratique, un effet équivalent à celui de l’acquisition directe d’obligations souveraines auprès des autorités et des organismes publics des États membres (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, points 106 et 107). La chambre s’est alors ralliée à cette appréciation (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <229, point 206>). Dans l’arrêt du 11 décembre 2018, il est cependant question que l’annonce des montants mensuels des achats d’actifs, la répartition de ces montants entre les banques centrales en fonction de leur quote-part dans la clé de répartition du capital de la BCE, les critères stricts regardant l’éligibilité de titres de créance, ainsi que la durée du programme contribuent à l’efficacité et à la proportionnalité du PSPP (cf. CJUE, cit., points 111 et 112). Une telle approche est non seulement inconsistante, mais elle affaiblit aussi l’importance du critère des incertitudes des États membres et des opérateurs sur le marché quant aux achats d’obligations souveraines par l’Eurosystème.

186

L’annonce de l’achat d’un volume défini d’obligations souveraines est en principe susceptible de constituer un indice pour un contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE. C’est dans un tel contexte que l’arrêt du 11 décembre 2018 met un accent particulier sur les incertitudes qui subsistent concernant les achats dans le cadre du PSPP, et il considère que ces incertitudes constituent les « garanties » essentielles servant à empêcher un contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE. Selon la Cour de justice, l’adoption et la mise en œuvre du PSPP ne sauraient faire naître des certitudes quant au rachat futur des obligations souveraines émises, et les États membres seront toujours tenus, en cas de déficit, à chercher des financements sur les marchés (cf. CJUE, loc. cit., points 132, 135 et 138 sqq., renvoyant à l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 112 sqq.). Ce qui est déterminant est de savoir si les opérateurs susceptibles d’acquérir des obligations souveraines sur les marchés primaires peuvent être quasiment certains que le SEBC procèdera au rachat de ces obligations dans un délai et dans des conditions permettant à ces opérateurs d’agir, de fait, comme des intermédiaires du SEBC (cf. CJUE, loc. cit., point 110). Une telle certitude peut exister non seulement en cas d’obligation juridique de procéder à de tels achats – un cas de figure quasiment exclu en pratique – mais également dans des cas où les circonstances concrètes de l’espèce permettent de la déduire (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <267, point 81 ; 271 et 272, point 91>). Ces circonstances factuelles ne sauraient donc être laissées de côté.

187

bb) Il résulte de la jurisprudence tant de la Cour de justice que de la chambre qu’un délai minimal doit être respecté entre l’émission d’un titre sur le marché primaire et son rachat sur les marchés secondaires, afin d’empêcher que ne soient faussées les conditions d’émission de tels titres, ce qui aboutirait à un contournement de l’interdiction du financement monétaire des États (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, points 106 et 107 ; CJUE, cit., point 114 sqq. ; Recueil BVerfGE 134, 366 <414, point 92> ; 142, 123 <226, point 199 ; 227, point 202> ; 146, 216 <265, point 78 ; 272 et 273, point 93>). Le calcul et le respect de ce délai revêtent une importance cruciale (cf. dans le même sens, CJUE, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:7, point 262).

188

Afin de prévenir un contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE, l’article 4, paragraphe 1, de la décision (UE) 2015/774 prévoit qu’il est interdit, pendant une durée déterminée par le conseil des gouverneurs (« période de fenêtre négative »), d'effectuer des achats de titres nouvellement émis ou émis en continu ainsi que de titres de créance négociables avec une échéance résiduelle dont la date se situe peu avant ou peu après l'échéance des titres de créance négociables à émettre. Toutefois, la décision ne contient ni des précisions supplémentaires relatives à la durée de cette période de fenêtre négative, ni des motifs la justifiant. La Cour de justice cautionne cette démarche en renvoyant à l’objectif de réduire le caractère prévisible dans le temps de l’intervention de l’Eurosystème sur les marchés secondaires. Aux yeux de la Cour de justice, l’incertitude des opérateurs privés sur le marché s’en trouve augmentée, au motif que le rachat des titres pourrait avoir lieu également plusieurs mois, voire plusieurs années, après leur émission et que l’Eurosystème pourrait aussi bien réduire le volume des achats mensuels effectués dans le cadre du PSPP (cf. pour l’EAPP dans son ensemble, CJUE, loc. cit., points 115 et 116). À cet égard, la Cour de justice se borne toutefois à constater que la période de fenêtre négative « était mesurée en jours plutôt qu’en semaines ». La simple existence de la période de fenêtre négative – qui n’est pas concrétisée dans ses détails – suffit à la Cour de justice pour en déduire qu’il s’agit d’une « garantie » suffisamment efficace, alors même qu’elle n’a pas sollicité de la BCE les informations supplémentaires que cette dernière avait proposé de fournir (cf. BCE, prise de position du 30 novembre 2017). Même la publication a posteriori des précisions relatives à la période de fenêtre négative n’est pas considérée comme nécessaire par la Cour de justice.

189

Dans de telles conditions, un contrôle juridictionnel n’est alors pas possible. La simple existence d’une période de fenêtre négative ne permet pas de déduire que l’achat d’obligations souveraines ne sera pas prévisible ou qu’un tel achat n’aura lieu qu’à un moment où un prix de marché se sera formé indépendamment de la perspective d’un éventuel rachat. En outre, cette conclusion n’est en définitive pas non plus remise en cause ni par la constatation de la Cour de justice que la période de fenêtre négative constitue juste un délai minimal et qu’un rachat peut très bien intervenir plusieurs mois ou plusieurs années après l’émission d’une obligation, ni par la considération que les incertitudes des opérateurs privés se trouvent accrues par le fait que le SEBC possède la faculté de réduire le montant des achats mensuels (cf. CJUE, loc. cit., point 116). L’acceptation pure et simple des affirmations de la BCE va également à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de justice dans d’autres domaines, où elle considère qu’une importance particulière revient au contrôle juridictionnel lorsqu’une institution de l’Union européenne dispose d’un large pouvoir d’appréciation. La démarche suivie dans le cas de l’espèce n’opère pas la distinction requise entre une publication a priori et une publication a posteriori d’informations relatives à la période concrète de fenêtre négative. Il est certes sensé que la Cour de justice estime une telle publication comme inopportune si elle conduisait à remettre en cause l’efficacité future du PSPP (cf. CJUE, loc. cit., points 112 et 115). Pour la même raison, la chambre a elle-même considéré qu’il convenait de ne pas publier de détails relatifs aux périodes de fenêtre négative à respecter, si cette publication allait à l’encontre de l’objectif de telles périodes (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <273, point 95>). Cette conclusion est évidente en ce qui concerne une publication a priori ; en revanche, elle ne l’est pas quant à une publication a posteriori. Au contraire, une telle publication a posteriori est nécessaire afin de pouvoir vérifier si l’interdiction du financement monétaire des États a été contournée et d’assurer une protection juridictionnelle efficace (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <223, point 194> ; 146, 216 <272 et 273, point 93 sqq.>). Il n’y a, comme il ressort également de l’audience publique, aucune raison objective justifiant que des détails relatifs à la période de fenêtre négative ne soient pas publiés a posteriori, d’autant plus que la BCE est libre de modifier à tout moment son comportement pour l’avenir et qu’il n’est pas possible de déduire de ses actions passées quelles seront ses actions futures. Il est également apparu au cours de l’audience publique qu’il n’y avait pas lieu de s’attendre à des effets négatifs pour le marché des obligations souveraines en raison d’une publication a posteriori de détails portant sur la période de fenêtre négative prévue par l’article 4, paragraphe 1, de la décision (UE) 2015/774. Les opérateurs sur le marché présument que, dans la pratique, la période de fenêtre négative est d’une durée entre cinq et 14 jours, et ils agissent en conséquence. La durée exacte de cette période n’a en revanche pas d’incidence sur la formation d’un prix sur le marché primaire.

190

Dans ce contexte, ne saurait dès lors pas non plus convaincre la position de la Cour de justice qui estime qu’il n’est pas possible d’exiger dans le cadre de l’obligation de motivation en vertu de l’article 296, paragraphe 2, TFUE la divulgation d’informations plus détaillées portant sur la période de fenêtre négative, étant donné qu’une telle publication viserait à exposer le contenu précis des mesures adoptées par le SEBC et non pas les justifications de ces mesures (cf. CJUE, loc. cit., point 43 […]). La motivation d’un acte conformément à l’article 296, paragraphe 2, TFUE doit être rédigée d’une manière permettant d’une part aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises et d’autre part à la Cour de justice d’exercer son contrôle (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 70). Toutefois, en transposant, sans explication supplémentaire, aux actes simplement administratifs de l’Eurosystème les exigences en matière de motivation applicables aux actes législatifs (cf. CJUE, loc. cit., point 32), la Cour de justice rend de fait impossible un contrôle juridictionnel du PSPP à l’aune de l’article 123, paragraphe 1, TFUE (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <273 et 274, point 95>). Il n’est alors pas possible de vérifier ni si la période de fenêtre négative prévue est en général adaptée pour protéger la formation d’un prix de marché sur les marchés secondaires […], ni si cette période est respectée lors de la mise en œuvre du programme. Ce faisant, la Cour de justice ébranle l’affirmation qu’elle avait elle-même avancée, à savoir que la période de fenêtre négative constituait l’une des garanties destinées à empêcher qu’un opérateur privé puisse se comporter comme un intermédiaire du SEBC (cf. CJUE, loc. cit., points 113 et 114).

191

Tel qu’interprété et appliqué par la Cour de justice, le critère de la période de fenêtre négative est manifestement inadapté pour éviter un contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE. La fonction de régulation de ce critère est pratiquement privée d’effet ; en tout état de cause, il n’est pas possible de contrôler s’il déploie cette fonction. Le fait que le comité de la gestion des risques du SEBC soit peut-être mieux en mesure que ne l’est une juridiction pour évaluer l’adéquation de la période de fenêtre négative (cf. CJUE, conclusions de l’avocat général Wathelet du 4 octobre 2018, Weiss e.a., C-493/17, EU:C:2018:815, point 60) n’y change rien, car ce comité fait partie de l’institution dont l’action doit être contrôlée et il n’a vocation ni à accorder une protection juridique effective ni à assurer la légitimité démocratique de l’action de la BCE (cf. Cour constitutionnelle fédérale, jugement de la seconde chambre du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, points 137, 212 et 274 sqq.).

192

cc) La conservation de titres de dette publique jusqu’à leur maturité entraîne des effets considérables pour le marché secondaire des titres de dette publique (cf. CJUE, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón du 14 janvier 2015 dans l’affaire Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:7, point 243) et constitue un indice important d’un financement monétaire des États. Selon l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire Gauweiler, une telle mesure a des effets sur l’incitation pour les États membres à mener une politique budgétaire saine. Ces effets sont toutefois limités par la faculté du SEBC de revendre à tout moment les obligations acquises, ce qui signifie – comme l’a indiqué la Cour de justice dans l’arrêt Gauweiler – que les conséquences de l’achat d’obligations souveraines sont « potentiellement temporaires » (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 117). La possibilité de conserver les obligations acquises jusqu’à leur terme est, selon la Cour de justice, en tout état de cause subordonnée à la nécessité d’une telle action pour atteindre les objectifs visés. La Cour de justice précise qu’en tout état de cause, une telle possibilité ne doit pas permettre aux opérateurs impliqués d’avoir la certitude que le SEBC en fera usage (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 118). Sur le fondement de ces développements, la chambre a alors constaté que l’interdiction prévue par l’article 123, paragraphe 1, TFUE de contourner l’interdiction du financement monétaire des États n’est pas violée si – entre autres – des obligations souveraines acquises ne sont conservées qu’exceptionnellement jusqu’à leur échéance et que l’acquisition temporaire de telles obligations demeure la règle (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <227 sqq., points 202 et 206> ; 146, 216 <266, point 78 ; 274, point 96>). La conservation jusqu’à leur échéance, pendant une période indéfinie, d’un volume illimité d’obligations souveraines acquises constitue dès lors en tout état de cause un indice pour un financement monétaire des États illicite au sens de l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

193

En revanche, dans son arrêt dans l’affaire Weiss, la Cour de justice considère qu’il n’y pas d’obligation pesant sur l’Eurosystème de ne conserver qu’exceptionnellement jusqu’à leur échéance les obligations qu’il a acquises (cf. CJUE, loc. cit., point 147). En même temps, elle souligne toutefois le caractère potentiellement juste temporaire des achats d’obligations dans le cadre du PSPP (cf. CJUE, loc. cit., points 135 et 150). Elle rappelle que d’une part, l’éventuelle conservation par le SEBC des obligations acquises dans le cadre du PSPP jusqu’à leur échéance n’implique aucune renonciation au paiement, par l’État membre émetteur, de sa dette une fois le terme de l’obligation échue (cf. CJUE, loc. cit., point 146 ; dans le même sens, cf. déjà CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 118) et que d’autre part, la décision (UE) 2015/774 n’apporte pas de précisions quant à une éventuelle revente des obligations acquises et qu’il ressort de l’article 12, paragraphe 2, des lignes directrices que le SEBC conserve la faculté de revendre ces obligations à tout moment et sans condition spécifique. La Cour de justice ajoute que la simple possibilité de pouvoir revendre à tout moment les obligations achetées permet à l’Eurosystème d’adapter son programme en fonction de l’attitude de l’État membre concerné et contribue à préserver l’incitation à conduire une politique budgétaire saine. Finalement, la Cour de justice rappelle que le SEBC n’est pas obligé d’acheter des obligations émises par des États membres qui ne mènent pas de politique budgétaire saine (cf. CJUE, loc. cit., point 148 sqq. ; dans le même sens, cf. déjà CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, points 117 et 120).

194

Ce qui pose problème à cet égard est le fait que dans son arrêt du 11 décembre 2018 la Cour de justice souligne certes que le PSPP constitue une mesure temporaire (cf. CJUE, loc. cit., points 134 et 135), mais qu’elle ne tire aucune conclusion de cette constatation. Elle rejette toute obligation de l’Eurosystème de revendre des obligations sans échéance ou assorties d’une échéance longue en soulignant le manque de certitude des opérateurs sur le marché que le SEBC utilisera les possibilités offertes par le PSPP et en rappelant que le PSPP doit respecter le principe de nécessité. La Cour de justice omet également d’aborder la question de la nécessité d’élaborer une stratégie de sortie du programme.

195

Cependant, si l’Eurosystème renonce sans limitation de durée à revendre les obligations souveraines qu’il a acquises, il risque de glisser dans un rôle de banquier permanent des États membres. Tel serait notamment le cas si – à l’instar de ce qui est actuellement le cas dans le cadre du PSPP – les sommes remboursées à échéance d’une obligation étaient réinvesties dans l’achat de nouvelles obligations. La dette publique serait immobilisée au sein de l’Eurosystème et ne jouerait pratiquement plus aucun rôle pour les marchés – en particulier en ce qui concerne l’évaluation de la qualité du crédit des États membres émetteurs et donc les conditions d’emprunt applicables à ces derniers (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <274 sqq., points 97 et 98>). Une telle situation constituerait alors une atteinte à l’interdiction objective consacrée par l’article 123, paragraphe 1, TFUE et ce, sans que ne joue de rôle la question de savoir si les opérateurs sur le marché avaient ou non la certitude que l’Eurosystème procéderait à l’achat de certaines obligations.

196

L’application du critère de nécessité de ces mesures pour réaliser des objectifs de politique monétaire – comme le fait la Cour de justice dans ce contexte (cf. CJUE, loc. cit., point 152) – est sans incidence pour l’appréciation d’un contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE. Cette disposition prévoit une interdiction absolue du financement monétaire des États. Elle ne prévoit pas d’ingérences nécessaires ou justifiables dans cette interdiction, mais impose une limite définitive aux options d’interventions monétaires de l’Eurosystème une fois qu’un contournement a été constaté.

197

c) Néanmoins les décisions relatives au PSPP et à la mise en œuvre de ce dernier ne constituent pas en définitive une violation caractérisée de l’article 123, paragraphe 1, TFUE, car en appliquant correctement les critères dégagés par la Cour de justice, un contournement manifeste de l’interdiction du financement monétaire des États ne peut être constaté à ce stade. Bien que l’arrêt rendu par la Cour de justice dans l’affaire Weiss ait en pratique comme conséquence de vider de leur sens certains de ces critères, une appréciation d’ensemble permet néanmoins de conclure que les critères valables avancés suffisent encore pour nier un contournement manifeste de l’article 123, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, la Cour de justice a agi dans les limites de sa compétence de dire le droit qui lui a été attribuée par l’article 19, paragraphe 1, 2nde phrase, TUE (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <215, point 176>). L’interprétation avancée par la Cour de justice constitue dès lors le fondement pour le contrôle par la chambre des décisions relatives au PSPP examinées dans la présente affaire (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <353> ; 126, 286 <304> ; 134, 366 <385, point 27> ; 140, 317 <339, point 46> ; 142, 123 <215, point 176>).

198

aa) La Cour de justice ne remet pas en cause sur le plan du principe le critère selon lequel il est interdit d’annoncer par avance l’achat d’obligations souveraines. Dans la mesure où elle a considéré qu’il n’y avait pour l’essentiel pas de certitude ni des États membres ni des opérateurs sur le marché que certaines obligations seraient rachetées par l’Eurosystème, cette conclusion n’est en définitive pas à critiquer.

199

Il est certes vrai que les États membres et les opérateurs sur le marché avaient connaissance du volume des achats, de la répartition de ces achats entre les banques centrales en fonction de leur quote-part dans la clé de répartition du capital de la BCE, des critères regardant l’éligibilité de titres de créance, ainsi que de la durée (prévisionnelle) du PSPP, ce qui signifie que de leur point vue, il était hautement probable que l’Eurosystème allait acquérir une part substantielle de chaque émission d’obligations. Pour ce qui est par exemple des obligations allemandes, dont la quote-part s’élevait, mathématiquement, à 23,6951 % fin 2018, le volume des achats mensuels était de 11,37 milliards d’euros – chiffre calculé sur la base d’un volume total des achats mensuels nets de 60 milliards d’euros (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 < 269 et 270, point 87>). De même, il était possible de tirer des conclusions concernant la question de savoir quelles obligations allaient, à l’intérieur du volume indiqué et des limites d’achat, concrètement remplir les critères établis par le programme. En outre, la raréfaction temporaire de titres éligibles (cf. CJUE, loc. cit., points 127 et 128) émis par l’Allemagne, la Finlande, l’Irlande, les Pays-Bas et le Portugal rendait plus probable l’achat de certains ISIN, d’autant plus que la limite des achats était déterminée non pas en fonction de la part d’une émission d’obligations disponible sur les marchés secondaires, mais sur le fondement du volume total de l’émission en question (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <267 sqq., point 82 sqq. ; 269 sqq., point 86 sqq.> ; Conseil d’experts pour l’appréciation de l’évolution économique générale, rapport annuel 2017/2018, p. 167 <décembre 2017>).

200

Malgré ces indices forts, il n’est pas apparu au cours de l’audience publique que les États membres émetteurs d’obligations et les opérateurs sur le marché auraient pour l’essentiel pu être certains de l’achat par l’Eurosystème sur les marchés secondaires d’obligations nouvellement émises.

201

bb) Pour le respect de l’article 123, paragraphe 1, TFUE et notamment pour empêcher que les États membres et les opérateurs sur le marché ait pratiquement une certitude regardant les achats, il est crucial que le volume des achats soit défini et, surtout, limité par avance. L’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018 considère que cette condition est remplie et ce, en raison de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision (UE) 2015/774 qui prévoit que les banques centrales de l’Eurosystème ne peuvent acheter plus de 33 % d’une émission donnée d’obligations des administrations centrales d’un État membre ou de 33 % des encours de titres de l’une de ces administrations (cf. CJUE, cit., point 124 sqq.). La Cour de justice estime qu’en raison de ces limites d’achat, seule une petite partie des obligations émises par un État membre pourrait alors être achetée par l’Eurosystème, ce qui imposerait à cet État membre de recourir principalement aux marchés pour financer son déficit budgétaire. Aux yeux de la Cour de justice, ces limites d’achat, dont l’application est, conformément à l’article 4, paragraphe 3, des lignes directrices, contrôlée quotidiennement par la BCE, garantissent qu’un opérateur privé s’expose nécessairement au risque de ne pas pouvoir revendre les obligations au SEBC sur les marchés secondaires, étant donné qu’une acquisition de l’ensemble des obligations émises est exclue en tout état de cause (cf. CJUE, loc. cit., point 125).

202

Bien que la limite d’achat fixée à 33 % d’une émission ne soit pas calculée sur le fondement de la part disponible sur les marchés secondaires, identifiée par le code ISIN, mais sur le fondement du volume total, il demeure incertain, tant que cette limite est respectée, pour les États membres émetteurs comme pour les opérateurs sur le marché quel titre éligible sera – à condition qu’une offre ait été formulée en ce sens – acheté concrètement dans les limites du volume disponible. Il est ressorti de l’audience publique que la limite d’achat fixée à 33 % laissait encore une « marge de sécurité » suffisante garantissant qu’il n’y a pas de certitude concrète concernant les achats d’obligations souveraines par l’Eurosystème et que sous cette condition – et uniquement sous cette condition – il était encore possible de supposer l’existence d’un marché qui ne soit pas dominé par l’Eurosystème et qui empêche que les États membres et les opérateurs sur le marché puissent être pratiquement certains que le SEBC procèdera à l’acquisition d’obligations nouvellement émises.

203

cc) Le mécanisme de répartition des achats entre les banques centrales nationales selon la clé de répartition pour la souscription au capital de la BCE (art. 6, para. 2 et para. 3, de la décision <UE> 2015/774) contribue également à empêcher un contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE. Il s’agit là d’un critère objectif et indépendant de la situation économique et budgétaire des États membres de la zone euro, ce qui signifie qu’un soutien ciblé des États membres éprouvant des difficultés financières au moyen de ce mécanisme est exclu. La Cour de justice relève à juste titre – en divergeant toutefois de la solution retenue dans l’affaire Gauweiler (cf. CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 89) – que l’absence de sélectivité du PSPP a pour conséquence que ce programme produit ses effets sur les conditions financières de l’ensemble de la zone euro et ne répond pas seulement aux besoins spécifiques de financement de certains États membres de cette zone (cf. CJUE, cit., point 82). Cette position correspond à celle déjà adoptée auparavant par la chambre (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <406, point 73 ; 412, point 87> ; 142, 123 <217 et 218, point 182>).

204

Selon la Cour de justice, la répartition des acquisitions entre les banques centrales nationales selon la clé de répartition pour la souscription du capital de la BCE a pour effet d’une part que l’augmentation sensible du déficit d’un État membre résultant de la renonciation éventuelle à une politique budgétaire saine conduit à une diminution de la part des obligations de cet État membre acquises par le SEBC, et d’autre part qu’il est impossible à cet État membre d’échapper aux conséquences, en matière de financement, de la détérioration de sa situation budgétaire (cf. CJUE, loc. cit., point 140).

205

dd) Aux yeux de la Cour de justice, d’autres facteurs contribuent également à empêcher un contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE ; toutefois, l’importance concrète de ces facteurs dépend de décisions comportant une appréciation discrétionnaire de la part de la BCE. Fait partie de ces éléments le fait que, conformément à l’article 8 de la décision (UE) 2015/774, la BCE ne publie que des informations agrégées en ce qui concerne le volume des achats effectués, dans le cadre du PSPP, d’obligations émises par les autorités et les organismes publics des États membres (cf. CJUE, cit., point 126). La Cour de justice relève en outre que l’Eurosystème a fixé des règles destinées à empêcher que le volume précis des achats puisse être connu à l’avance. Ainsi, le montant de ces achats peut-il varier pour chaque mois, étant donné le caractère subsidiaire du PSPP au sein du EAPP (art. 2, para. 2, des lignes directrices) et que le conseil des gouverneurs de la BCE peut également, en cas de conditions spécifiques de marché, s’écarter du montant prévu. La Cour de justice poursuit qu’en outre, les États membres et les opérateurs sur le marché ne peuvent avoir la certitude que le montant affecté à une banque centrale nationale pour l’acquisition d’obligations émises par les autorités et les organismes publics d’un État membre sera effectivement pleinement utilisé (art. 6, para. 1, de la décision <UE> 2015/774). De plus, la répartition du montant des achats entre les banques centrales nationales selon la clé de répartition pour la souscription du capital de la BCE se fait sous réserve d’un réexamen par le conseil des gouverneurs de la BCE. Selon l’article 3, paragraphes 1, 3 et 5, de la décision (UE) 2015/774, l’acquisition d’obligations diversifiées est également admise dans le cadre du PSPP, ce qui, selon la Cour de justice, rend encore plus difficile de prédire une intervention de l’Eurosystème. Ainsi, peuvent être acquises dans ce cadre non seulement des obligations émises par des administrations centrales, mais également des obligations émises par des administrations régionales ou locales. De même, l’échéance de ces obligations peut s’étendre d’un an à 30 ans et 364 jours, et leur rendement peut, le cas échéant, être négatif et même inférieur au taux d’intérêt de la facilité de dépôt. Finalement, la Cour de justice estime que la prévisibilité de l’acquisition d’obligations souveraines par l’Eurosystème a été limitée par les décisions (UE) 2015/2464 et (UE) 2017/100 (cf. CJUE, loc. cit., point 118 sqq.).

206

ee) De même, l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire Weiss ne remet pas en cause, sur le plan du principe, l’exigence du respect d’une « période fenêtre négative » entre l’émission d’une obligation et son achat par l’Eurosystème (cf. CJUE, cit., points 115 et 116). Toutefois, la Cour de justice n’a pas vérifié si cette période de fenêtre négative prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la décision (UE) 2015/774 était d’une durée suffisante et si elle a été respectée jusqu’à la fin de l’année 2018. En raison du manque d’informations à cet égard fournies par la BCE, cette question ne peut pas non plus être tranchée par la chambre. Cependant, le libellé de l’article 4, paragraphe 1, de la décision (UE) 2015/774, la précision de la BCE que la durée de cette période était « mesurée en jours plutôt qu’en semaines », ainsi que les explications supplémentaires données lors de l’audience publique par les tiers experts laissent penser que la période de fenêtre négative a bien été respectée.

207

ff) En outre, il n’est permis d’acquérir dans le cadre du PSPP que des obligations bénéficiant d’une certaine évaluation de la qualité du crédit (cf. CJUE, cit., points 142 et 143). Outre le respect des exigences applicables en matière d’opérations de politique monétaire en vertu de l’orientation BCE/2011/14, les émetteurs doivent bénéficier d'une évaluation de la qualité du crédit équivalant au moins à l'échelon 3 de qualité du crédit (art. 3, para. 2, de la décision <UE> 2015/774). Lorsqu’elles bénéficient d’une qualité du crédit inférieure, les obligations souveraines émises par des États faisant l’objet d’un programme d’assistance financière peuvent néanmoins être achetées si le conseil des gouverneurs de la BCE a suspendu à leur égard l'application du seuil de qualité du crédit conformément à l'article 8 de l'orientation BCE/2014/31 (art. 3, para. 2, c), de la décision <UE> 2015/774). Une décision en ce sens a été prise à l’article 1, paragraphe 2, de la décision (UE) 2016/1041 de la BCE concernant l'éligibilité des titres émis par la Grèce, après que le MES avait décidé de verser des assistances financières supplémentaires (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <236, point 15>). L’article 3, paragraphe 2, de la décision (UE) 2015/774 prévoit – selon la Cour de justice – des critères élevés d’éligibilité fondés sur une évaluation de la qualité du crédit à laquelle il n’est possible de déroger que si l’État membre concerné fait l’objet d’un programme d’assistance financière. De plus, la Cour de justice rappelle qu’en vertu de l’article 13, paragraphe 1, des lignes directrices, le conseil des gouverneurs de la BCE peut, en cas de dégradation de la notation des obligations d’un État membre ou de résultat négatif d’un examen d’un tel programme d’aide financière, décider de revendre les obligations de cet État membres déjà acquises. Dès lors, un État membre qui abandonnerait ses efforts de mener une politique budgétaire saine risquerait, en raison de la dégradation de la notation de ses obligations, que ces dernières soient exclues du PSPP et que des obligations déjà achetées soient revendues par l’Eurosystème (cf. CJUE, loc. cit., point 138 sqq.).

208

Sur le fond, le conseil des gouverneurs de la BCE a toutefois constamment abaissé au cours de la durée du PSPP les exigences en matière d’évaluation du crédit déterminante pour l’éligibilité des titres de créance négociables. En cas d’abaissement supplémentaire qui conduirait à ce que suffise une évaluation de la qualité du crédit inférieure à l'échelon 3 de qualité du crédit, les exigences susmentionnées ne seraient – comme il est également apparu lors de l’audience publique – vraisemblablement plus remplies.

209

gg) Pour contrôler si l’article 123, paragraphe 1, TFUE a été contourné, il est également nécessaire de prendre en compte la question de la détention d’obligations jusqu’à leur échéance. Ce critère n’est, sur le plan du principe, lui non plus pas remis en cause par la Cour de justice dans son arrêt rendu dans l’affaire Weiss, même si la Cour ne déduit pas de l’article 18 des Statuts du SEBC une obligation de revendre avant leur échéance les obligations acquises (cf. CJUE, cit., point 146 sqq.). Elle souligne toutefois – malgré les décisions (UE) 2015/2464 et (UE) 2017/100 ayant prorogé la durée d’application du PSPP – le caractère juste temporaire de ce programme, cet aspect temporaire se trouvant en outre renforcé par la faculté du SEBC prévue à l’article 12, paragraphe 2, des lignes directrices de pouvoir à tout moment revendre les obligations acquises. Cette faculté permet d’adapter le programme en fonction de l’attitude de l’État membre concerné et empêche les opérateurs impliqués d’avoir la certitude que le SEBC ne fera pas usage de cette faculté (cf. CJUE, loc. cit., point 132 sqq. ; dans le même sens, cf. déjà CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 114).

210

Bien que l’article 1 de la décision (UE) 2015/774 et les modifications apportées par la suite à cette décision n’aient pas explicitement prévu la possibilité de revendre les obligations acquises par l’Eurosystème, cette possibilité n’est pas non plus exclue. Cela étant, les obligations acquises dans le cadre du PSPP n’ont à ce jour – hormis dans quelques cas exceptionnels et particuliers – pas été revendues avant leur échéance. Ce n’est qu’exceptionnellement que la BCE a, pour des raisons techniques, revendu certains titres, par exemple pour respecter des plafonds fixés. Cette pratique ne remet toutefois pas en cause la pertinence de ce critère en tant que tel, d’autant plus qu’il ne paraît pas manifestement déraisonnable de considérer que l’objectif de politique monétaire poursuivi par le PSPP a, eu égard au caractère (encore) limité dans le temps du programme, jusqu’à présent écarté la revente d’obligations. Toute revente d’une obligation acquise dans le cadre du PSPP aurait pour effet de réduire la masse monétaire, alors qu’une expansion de celle-ci est justement l’objectif explicite du programme. Le fait que les obligations soient détenues pendant un certain temps par l’Eurosystème fait donc partie des caractéristiques du PSPP, étant donné que seul un accroissement suffisant des liquidités sur le marché est censé entraîner un rééquilibrage de portefeuille visé par le programme (cf. CJUE, conclusions de l’avocat général Wathelet du 4 octobre 2018, Weiss e.a., C-493/17, EU:C:2018:815, point 71). Cette appréciation a été confirmée lors de l’audience publique.

211

Bien qu’il soit exact – comme l’estime également la Cour de justice – que l’article 18, paragraphe 1, des Statuts du SEBC n’interdise pas la détention d’obligations jusqu’à leur échéance, il ne faut pas que l’exception se transforme en règle (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <275 et 276, point 98>). Plus le montant des obligations acquises est élevé dans le bilan de l’Eurosystème, plus le risque augmente que l’interdiction du financement monétaire des États se trouve contournée. En raison du volume très important et de la durée désormais assez considérable du PSPP, cette observation est particulièrement pertinente en ce qui concerne ce programme.

212

hh) La détermination, dès la prise de décision de lancer un programme comme le PSPP, d’une stratégie de sortie établissant des critères suffisamment concrets pour une terminaison du programme contribuerait significativement à réduire le danger d’un contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE. Les tiers experts entendus lors de l’audience publique ont à plusieurs reprises insisté sur la nécessité d’élaborer une telle stratégie de sortie, étant entendu que les critères devant y être retenus devaient assurer qu’une fois que des obligations ont été acquises, leur revente ne soit pas réduite à une option purement théorique. Les décisions examinées dans la présente affaire ne prévoient toutefois aucune stratégie de sortie du genre qui vient d’être esquissé.

213

d) Sur le fondement de l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018, et en appliquant correctement les critères qui y ont été dégagés par la Cour de justice, un contournement de l’interdiction du financement monétaire des États ne peut en définitive être constaté. Une appréciation d’ensemble permet de conclure, à ce stade, que les « garanties » développées suffisent encore pour nier un contournement manifeste de l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

214

Certes, la Cour de justice a ôté la majeure partie de leurs effets à certaines des « garanties » comme l’interdiction d’annoncer par avance des achats ou la « période de fenêtre négative », la « garantie » en matière de détention d’obligations jusqu’à leur échéance ou encore la nécessité d’élaborer une stratégie de sortie ; de même, en ce qui concerne certaines « garanties », il n’est pas clair, étant donné que la Cour de justice n’a pas procédé à un examen approfondi à leur égard, si elles sont en tout état de cause adaptées pour assurer l’incertitude nécessaire des États membres et des opérateurs sur le marché en ce qui concerne les achats d’obligations par l’Eurosystème, car leur efficacité dépend de la volonté – qui ne peut être ni imposée ni contrôlée juridiquement – du conseil des gouverneurs de la BCE de réellement recourir à ces « garanties » dans le cadre de la mise en œuvre du programme. La Cour de justice n’a pas examiné, pour aucune de ces « garanties », si elles ont été employées, pas plus qu’elle n’a examiné la question de savoir dans quelle mesure l’absence d’utilisation de certaines possibilités d’intervenir renforçait les attentes des marchés d’une manière telle qu’il en résulte une quasi-certitude pour les opérateurs sur le marché.

215

Toutefois, la question de savoir si un programme d’achats d’obligations comme le PSPP constitue un contournement manifeste de l’article 123, paragraphe 1, TFUE ne doit pas être tranchée sur la base de l’examen du respect d’un critère isolé, mais sur le fondement d’une appréciation d’ensemble (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <214, point 87 ; 416 et 417, point 99> ; 142, 123 <222 et 223, point 193 ; 227, point 201> […]). Cette conclusion a également été confirmée par les tiers experts entendus dans le cadre de l’audience publique.

216

En définitive, et malgré les réserves énoncées en ce qui concerne l’arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2018, un contournement manifeste de l’interdiction du financement monétaire des États ne peut être constaté en l’espèce, en particulier parce que

  • nonobstant les informations rendues publiques par la BCE (cf. supra, aux points 186 et 187, ainsi qu’au point 200), aucune information concrète n’a été publiée en ce qui concerne certains ISIN,
  • le volume des achats est limité d’avance,
  • seules des informations agrégées sont publiées en ce qui concerne les achats effectués par l’Eurosystème,
  • un plafond de 33 % par code ISIN est respecté concernant les titres de créance d’un émetteur,
  • les achats sont effectués en fonction de la quote-part respective des banques centrales nationales dans la clé de répartition du capital de la BCE,
  • sont achetées dans le cadre du PSPP uniquement des obligations émises par des autorités qui bénéficient d’une notation minimale leur permettant d’avoir accès au marché des obligations, et que
  • les achats doivent être limités, voire qu’ils doivent cesser et que les titres de créance acquis doivent être remis sur le marché, lorsque la poursuite de l’intervention n’est plus nécessaire pour la réalisation de l’objectif visé en matière d’inflation

217

En particulier la limite d’achat fixée à 33 % et le fait que les achats sont effectués en fonction de la quote-part respective des banques centrales nationales dans la clé de répartition du capital de la BCE ont empêché jusqu’ici que des mesures sélectives favorisant certains États membres soient prises dans le cadre du PSPP (cf. CJUE, loc. cit., points 140 et 141 ; dans le même sens, cf. déjà CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 95) et que l’Eurosystème devienne le créancier principal d’un État membre. Dans ce contexte, ces deux critères constituent alors les « garanties » déterminantes permettant d’affirmer qu’un éventuel contournement de l’interdiction prévue à l’article 123 TFUE n’est pas suffisamment manifeste pour conclure à une violation de cette interdiction.

218

e) Le fait que, selon l’article 3, paragraphe 5, de la décision (UE) 2015/774, peuvent être achetées également des obligations souveraines avec un rendement à échéance négatif – dans un premier temps, cela concernait des obligations avec un rendement correspondant au taux d’intérêt de la facilité de dépôt de la BCE de -0,4 % ; depuis le 1er janvier 2017, ont été autorisés des achats de titres avec un rendement à échéance encore plus bas – a été considéré de manière compréhensible comme inopérant par la Cour de justice en ce qui concerne un éventuel contournement de l’article 123, paragraphe 1, TFUE (aa). Il en va de même en ce qui concerne les clauses d’action collective (bb).

219

aa) La Cour de justice motive sa conclusion en ce sens en indiquant que les opérations d’open market auxquelles l’Eurosystème peut procéder ne sont pas limitées à des obligations avec un rendement minimal, même si ces opérations sont financièrement avantageuses pour les États membres et que ces derniers peuvent ainsi en tirer des bénéfices financés par l’Eurosystème. Étant donné que les obligations ne peuvent être acquises que sur les marchés secondaires, la Cour de justice estime qu’elles ne donnent lieu ni à l’octroi d’un découvert ou d’un autre type de crédit aux autorités et aux organismes publics des États membres, ni à l’acquisition directe, auprès de ceux-ci, des instruments de leur dette. La Cour de justice poursuit que la catégorie de titres éligibles à une acquisition dans le cadre du PSPP se trouve élargie, ce qui en même temps renforce les incertitudes des opérateurs sur le marché regardant les achats par l’Eurosystème. En dernier lieu, la Cour de justice estime que l’incitation à conduire une politique budgétaire saine n’est pas ôtée aux États membres étant donné que seuls les États dont la situation financière est jugée positive par les opérateurs des marchés de la dette souveraine peuvent émettre des obligations avec un rendement négatif (cf. CJUE, cit., point 153 sqq.).

220

En considérant que la formation d'un prix de marché demeure possible dans le cadre du PSPP, les bénéfices susmentionnés peuvent être, économiquement parlant, réalisés par les États membres par suite de l’action des premiers acquéreurs sur le marché primaire. La question de savoir si tel est réellement le cas reste en suspens. L’audience publique tenue par la chambre n’a pas permis de prouver le contraire.

221

bb) Le fait que l’Eurosystème renonce à un traitement préférentiel en tant que créancier (cf. considérant 8 de la décision <UE> 2015/774) ne constitue pas lui non plus une violation manifeste de l’article 123, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, la chambre s’est déjà ralliée dans son arrêt relatif au programme OMT à la position de la Cour de justice selon laquelle l’éventualité d’un abandon d’une partie de la dette n’est pas contraire à l’interdiction du financement monétaire des États tant que ne sont acquises que les obligations souveraines d’États membres ayant accès au marché des obligations (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <228, point 204> ; CJUE, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C-62/14, EU:C:2015:400, point 126). Il en va de même en ce qui concerne le PSPP.

222

4. La répartition des risques entre les banques centrales nationales prévue par l’article 6, paragraphe 3, de la décision (UE) 2015/774 n’offre pas de possibilité d’une redistribution des dettes publiques entre les États membres de la zone euro (a) et, par conséquent, ne porte pas atteinte à la responsabilité d’ensemble du Bundestag allemand en matière de politique budgétaire (b).

223

a) La Cour de justice a rejeté pour irrecevabilité la cinquième question préjudicielle posée par la chambre, au motif que cette question est de nature hypothétique (cf. CJUE, cit., point 166). Elle rappelle que les décisions examinées ne prévoient pas de partage de l’intégralité des pertes réalisées par les banques centrales des États membres lors de la mise en œuvre du PSPP, mais se limitent à prévoir un partage des risques relatif aux titres émis par des émetteurs internationaux. La Cour de justice estime que le volume potentiel de ces pertes est encadré par l’article 6, paragraphe 1, de la décision (UE) 2015/774, selon laquelle la part de ces titres est limitée à 10 % de la valeur comptable des achats au titre du PSPP. En outre, elle considère que les pertes susceptibles d’être partagées le cas échéant entre les banques centrales des États membres ne peuvent être la conséquence directe du défaut d’un État membre (cf. CJUE, loc. cit., point 162 sqq.). En outre, en vue d’éviter que la situation d’une banque centrale d’un État membre puisse être fragilisée en cas d’incident de remboursement d’un émetteur d’un autre État membre, l’article 6, paragraphe 3, de la décision (UE) 2015/774 prévoit que chaque banque centrale nationale achète des titres éligibles provenant d’émetteurs de son propre pays (cf. CJUE, loc. cit., point 96). Ce mécanisme doit exclure qu’un État membre puisse, à l’aide du PSPP, échapper aux conséquences, en matière de financement, de la détérioration de sa situation budgétaire (cf. CJUE, loc. cit., point 140).

224

La Cour de justice considère qu’en outre, le droit primaire ne contient pas de dispositions prévoyant le partage, entre les banques centrales des États membres, des pertes subies par l’une de ces banques centrales lors de la réalisation d’opérations d’open market. Elle souligne que les traités ne prévoient à cet égard pas d’attribution de compétence au sens de l’article 5, paragraphe 1, 2nde phrase, et paragraphe 2, TUE (cf. CJUE, loc. cit., point 162), ce qui signifie que du point de vue du droit de l’Union l’attribution d’une telle compétence ne serait possible qu’au moyen d’une révision des traités sur le fondement de l’article 48 TUE, mais non au moyen de dispositions du droit dérivé ou d’actes délégués et d’actes de mise en œuvre du droit de l’Union, par exemple de la part de la BCE. Dans un tel contexte, le rejet de la cinquième question préjudicielle comme irrecevable comporte un élément particulier ayant des répercussions sur le droit matériel, à savoir qu’à l’avenir la porte restera fermée pour une réglementation en ce sens fixée par le droit secondaire ou par des actes délégués et des actes de mise en œuvre du droit de l’Union, étant donné que la Cour de justice considère que sur le fondement du programme d’intégration en vigueur, l’éventualité d’une telle réglementation n’est pas seulement incertaine dans les faits, mais juridiquement impossible – et donc hypothétique. Si la BCE était habilitée en vertu des traités à adopter une réglementation en ce sens, la cinquième question préjudicielle n’aurait pas été hypothétique. Le montant des obligations détenues dans le bilan des banques centrales nationales s’élève à plus de 2 000 milliards d’euros, une somme qui, en cas de défaut d’un grand État membre, dépasserait de loin les réserves dont disposent ces banques centrales. Au moment du renvoi préjudiciel par la Cour constitutionnelle fédérale, la possibilité semblait réelle que la BCE puisse décider discrétionnairement les modalités de répartition des risques, étant donné que par le passé, une répartition des risques différente avait déjà été prévue par exemple dans le cadre du Securities Markets Programme (SMP) (cf. Recueil BVerfGE 146, 216 <293, point 133>, faisant référence au rapport annuel 2010 de la Bundesbank allemande, p. 175).

225

De plus, les réponses données par la Cour de justice aux quatre premières questions préjudicielles permettent d’en déduire qu’il est interdit de modifier rétroactivement la répartition des risques. Un partage complet des risques permettrait à certains États membres d’échapper aux conséquences d’une détérioration de leur situation budgétaire (cf. CJUE, loc. cit., point 140) et viderait rétroactivement de leur sens les « garanties » établies par le PSPP pour empêcher un contournement de l’article 123 TFUE. Il est dès lors permis de tirer de l’arrêt de la Cour de justice en tant qu’acte éclairé la conclusion que les règles en matière de répartition des risques constituent l’un des éléments déterminants pour évaluer le respect du principe de proportionnalité par le PSPP et qu’une modification « rétroactive » de ces règles est par conséquent exclue.

226

En outre, une redistribution des pertes résultant d’opérations d’open market effectuées dans le cadre du PSPP par les banques centrales nationales constituerait – hormis dans les cas d’exception prévus à l’article 32, paragraphe 4, des Statuts du SEBC – une violation du principe du droit de l’Union consacré aux articles 123 et 125 TFUE d’autonomie des budgets nationaux – un principe fondamental constitutif pour l’Union monétaire (cf. Recueil BVerfGE 129, 124 <181 et 182> ; 132, 195 <248, point 128> ; 134, 366 <393, point 41> ; 135, 317 <407, point 180>). Les traités ne prévoient pas de redistribution entre les budgets nationaux (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <393, point 41> […]). Cette constatation n’est pas invalidée par le fait que la clause de non-renflouement prévue à l’article 125 TFUE ne prohibe pas catégoriquement toute forme d’assistance financière (cf. CJUE, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C-370/12, EU:C:2012:756, point 136). Au contraire, les traités garantissent que les États membres restent soumis à la logique du marché lorsqu’ils contractent des dettes (cf. CJUE, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C-370/12, EU:C:2012:756, point 135). Un partage complet des risques de pertes éventuelles ne serait manifestement plus couvert par l’article 32, paragraphe 4, des Statuts du SEBC et constituerait un financement direct des États. L’article 1, paragraphe 1, b), du règlement (CE) no 3603/93 dispose qu’il convient d’entendre par « autre type de crédit » au sens de l’article 123, paragraphe 1, TFUE en particulier « tout financement d'obligations du secteur public à l'égard de tiers ». Si les banques centrales nationales des autres États membres allégeaient la banque centrale d’un État membre de pertes survenues (ou sur le point de l’être) relatives à des obligations acquises dans le cadre du PSPP, elles financeraient de fait ces obligations à l’égard de la banque centrale nationale en question qui détient ces titres. Une aide financière de ce type ne relève toutefois manifestement pas de la politique monétaire, ce que confirme d’ailleurs la jurisprudence de la Cour de justice (cf. CJUE, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C-370/12, EU:C:2012:756, point 57).

227

b) Eu égard au volume de plus de 2 000 milliards d’euros des obligations acquises dans le cadre du PSPP, une modification (ultérieure) de la répartition des risques relatifs à ces obligations porterait atteinte au domaine protégé, tel qu’il a été défini par la chambre, de la responsabilité d’ensemble du Bundestag allemand en matière de politique budgétaire (cf. Recueil BVerfGE 129, 124 <179> ; 132, 195 <240, point 108> ; 135, 317 <401, point 163> ; 142, 123 <231, point 213>) et serait contraire à l’article 79, alinéa 3, LF. Une telle modification serait susceptible de conduire à une recapitalisation de la Bundesbank (cf. Recueil BVerfGE 142, 123 <232 et 233, point 217> ; 146, 216 <291, point 128>) et constituerait, sur le fond, une prise en charge – interdite par la Loi fondamentale – de la responsabilité pour des décisions prises par un tiers et engendrant des conséquences difficiles à évaluer (cf. Recueil BVerfGE 129, 124 <179 sqq.> ; 134, 366 <418, point 102> ; 146, 216 <291, point 129>).

228

Les modalités actuelles du PSPP ne prévoient cependant pas un tel partage des risques en ce qui concerne les obligations souveraines des États membres acquises par leur banque centrale nationale respective. Selon les informations fournies par la BCE dans le cadre de la présente affaire, un tel partage des risques n’est pas envisagé, et il serait, pour les raisons susmentionnées, en tout état de cause interdit par le droit primaire. Dans un tel contexte, une atteinte à l’identité constitutionnelle de l’Allemagne (art. 23, al. 1, LF, combiné aux art. 20, al. 1 et 2, et 79, al. 3, LF) en général et à la responsabilité d’ensemble du Bundestag allemand en matière de politique budgétaire en particulier peut être exclue.

229

5. Les organes constitutionnels allemands sont tenus en vertu de leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne (a) de s’opposer au PSPP dans la mesure où il constitue un acte ultra vires (b).

230

a) Leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne impose aux organes constitutionnels de protéger et de promouvoir le droit à la démocratie consacré par l’article 38, alinéa 1, 1re phrase, LF, combiné à l’article 20, alinéa 2, 1re phrase, LF (cf. supra, au point 115).

231

En cas d’excès de compétence manifestes et structurellement significatifs de la part des institutions, des organes et des organismes de l’Union européenne, les organes constitutionnels sont obligés d’agir avec tous les moyens à leur disposition pour que le programme d’intégration soit respecté. Si un transfert supplémentaire de droits de souveraineté n’est pas possible ou voulu, ils sont tenus d’agir, dans le cadre de leurs compétences et avec les moyens juridiques et politiques dont ils disposent, pour que les mesures non couvertes par le programme d’intégration soient abrogées et – tant que les mesures en question continuent à produire des effets – de prendre toute disposition adaptée pour limiter le plus possible les effets de ces mesures en droit interne (cf. Recueil BVerfGE 134, 366 <395 et 396, point 49>). Doivent donc être prises des mesures adaptées pour assurer le respect du programme d’intégration (cf. Recueil BVerfGE 123, 267 <353, 364 et 365, 389 et 390, 391 et 392, 413 et 414, 419 et 420> ; 134, 366 <395 et 396, point 49 ; 397, point 53>). Sous certaines conditions de droit et de fait, la responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne peut aboutir à une obligation concrète d’agir.

232

b) Dans la mesure où la BCE n’a pas démontré que le PSPP est proportionné à l’objectif poursuivi, ce dernier constitue un acte ultra vires, et le gouvernement fédéral et le Bundestag sont tenus en vertu de leur responsabilité dans le cadre du processus d’intégration européenne d’agir pour que la BCE procède à un examen du PSPP à l’aune du principe de proportionnalité. La chambre a déjà constaté que l’indépendance de la BCE et l’indépendance de la Bundesbank (art. 130 et 282 TFUE, art. 88, 2nde phrase, LF) ne font pas obstacle à une telle obligation. Le gouvernement fédéral et le Bundestag doivent manifester clairement leur position juridique à l’encontre de la BCE ou veiller d’une autre manière à ce que soit rétabli un état des faits conforme aux traités.

233

Il en va de même en ce qui concerne la phase des réinvestissements dans le cadre du PSPP entamée le 1er janvier 2019, ainsi que la reprise du PSPP à partir du 1er novembre 2019 (cf. la décision du conseil des gouverneurs du 12 septembre 2019). Dans ce contexte, subsiste l’obligation de surveiller les décisions de l’Eurosystème portant sur les achats d’obligations souveraines dans le cadre du PSPP et d’agir avec tout moyen à leur disposition pour que le SEBC respecte les limites du mandat qui lui a été attribué.

234

6. Dans la mesure où la Cour constitutionnelle fédérale a jugé qu’une mesure des institutions, des organes et des organismes de l’Union européenne excède les limites tracées par le programme d’intégration, combiné à l’article 23, alinéa 1, 2e phrase, et à l’article 20, alinéa 2, 1re phrase, LF, cette mesure constitue un acte ultra vires et ne bénéficie pas de la primauté d’application qui revient au droit de l’Union. Elle est inapplicable en Allemagne et ne produit pas d’effet à l’encontre des organes constitutionnels, des autorités administratives et des tribunaux allemands. Il est interdit à ces organes constitutionnels, autorités administratives et tribunaux d’apporter leur concours à l’établissement, à la mise en œuvre, à l’exécution ou à l’opérationnalisation d’actes ultra vires (cf. § 31, al. 1, LCCF ; Recueil BVerfGE 89, 155 <188> ; 126, 286 <302 sqq.> ; 134, 366 <387 et 388, point 30> ; 142, 123 <207, point 162>). Sur le plan du principe, cette interdiction vaut également pour la Bundesbank à laquelle il appartient en outre, en vertu du § 13, alinéa 1, de la loi relative à la Bundesbank, de conseiller le gouvernement dans le domaine de la politique monétaire.

235

Dès lors, il est interdit à la Bundesbank, passé un délai d’au plus trois mois nécessaire pour la coordination au sein de l’Eurosystème, de concourir, en procédant à des achats augmentant les stocks d’obligations détenues ou encore en participant à une nouvelle augmentation du volume des achats mensuels, à la mise en œuvre et à l’exécution de la décision (UE) 2015/774, des décisions (UE) 2015/2101, (UE) 2105/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100 qui l’ont modifiée, ainsi que de la décision du 12 septembre 2019, si le Conseil des gouverneurs de la BCE ne procède pas, au moyen d’une nouvelle décision, à une démonstration claire établissant que les effets économiques et budgétaires entraînés par le PSPP ne sont pas disproportionnés par rapport aux objectifs de politique monétaire poursuivis par ce dernier. Sous la même condition, la Bundesbank est tenue de veiller à ce que soit procédé à une réduction des stocks d’obligations harmonisée et située sur le long terme.

D.

236

[…]

E.

237

La présente décision a été rendue à une majorité de sept voix contre une.

  • Voßkuhle
  • Huber
  • Hermanns
  • Müller
  • Kessal-Wulf
  • König
  • Maidowski
  • Langenfeld

Identifiant européen de la jurisprudence (ECLI):

ECLI:DE:BVerfG:2020:rs20200505.2bvr085915

Citation sugérée:

Cour Constitutionnelle fédérale, Jugement de la seconde chambre du 5 mai 2020 - 2 BvR 859/15 -, n° 1-237,
https://www.bverfg.de/e/rs20200505_2bvr085915fr